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Critique de HundredDreams


Théâtre de mythes, de légendes, de récits étranges racontés par les marins, le monde de la mer attire, depuis toujours, par sa beauté, sa puissance et ses mystères. Mais l'océan nous fascine autant qu'il nous terrifie.

Le roman de Mariette Navarro nous emmène dans un monde sensoriel où la réalité et la magie se fondent dans un intervalle hors de l'espace-temps. Son écriture aérienne et fluide s'accorde au roulis de la mer, aux pulsations du cargo, aux humeurs de l'équipage et de leur commandante, m'enveloppant de sensations de légèreté et d'apesanteur.

*
Avec« Ultramarins », je suis devenue une petite goutte d'eau. Aventureuse, je me suis fondue dans les embruns salés. Emportée par le vent, j'ai suivi le contour de la houle, jouant dans les lames et les crêtes d'écume blanche.

Lorsqu'un immense cargo s'est profilé à l'horizon, curieuse, je me suis approchée. Et je me suis arrêtée devant une scène des plus insolites : au beau milieu de l'océan atlantique, très loin des côtes, au mépris de toutes les règles de sécurité, des marins se baignent nus.

« Depuis la passerelle on a stoppé l'élan, piqué le cargo au centre du rond de tissu et fait, des tonnes de métal, un papillon mort, cloué, magnifique. »

Leur commandante les a autorisés à aller se baigner. Restée à bord, elle les observe, seule, préoccupée, se demandant comment elle a pu accepter cette folie, elle si professionnelle, si respectueuse du protocole, si soucieuse de ses hommes et de son bateau.

« Alors l'espace nouveau juste sous son coeur est du même ordre que cette plongée maladroite. Pas besoin de se jeter à l'eau avec eux pour ressentir leur vertige. Elle sait qu'il faut compter avec ça à partir d'aujourd'hui : une morsure, un rejet violent de toutes les lignes droites. »

Un premier petit grain de sable vient se glisser dans l'engrenage et briser la routine bien huilée.

*
Dans leur euphorie, les marins en oublient que la mer, traîtresse, peut se refermer sur eux et les emprisonner dans ses profondeurs. Dans leurs jeux, ils en oublient tous les dangers, la profondeur des abysses, la puissance des courants, les monstres marins. Les hommes, inconscients du danger, tout à leur joie de cette baignade improvisée, sont redevenus des enfants dans cette eau bleue cristalline.
Petite goutte insignifiante dans l'immensité bleutée, je me suis mêlée à leurs jeux insouciants et à leur joie.

Mariette Navarro parvient à étirer le temps en une prose contemplative.
J'ai aimé ce moment suspendu, hors du temps, où petite goutte, je me suis sentie vivante et libre, toute à ma joie de profiter de ces instants rares et éphémères.

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Dans le cercle protecteur du bateau, les marins continuent à jouer, mais progressivement, des pensées inquiétantes s'immiscent dans leurs plaisirs insouciants. Insensiblement, les images joyeuses qui les emportaient dans cet océan onirique, laissent la place à une menace sourde et indéfinissable.
Dans les abysses en dessous, un monde inquiétant, froid, sombre, glauque se dévoile qui terrifie les hommes, mais les attire aussi. Et l'océan, si bleu, si scintillant, si calme, quelques instants auparavant, les enlacent de ses vagues, les emprisonne, les ballotte, les isole et tente de les noyer.
Saisis d'un sentiment de vertige, un deuxième petit grain de sable vient de s'immiscer dans les rouages, laissant s'insinuer la peur et le doute dans leur quotidien.

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J'ai trouvé l'écriture de Mariette Navarro vraiment d'une grande sensibilité et d'une douce sensualité. Son style épuré, sa poésie m'ont emportée dans un huis-clos angoissant d'une étrange beauté.
Le récit ondoie, suit les mouvements de la houle et s'accorde avec les émotions des marins et de leur commandante.
Chaque virgule du texte imprime un rythme chaloupé, sensuel et mélodieux qui nous entraîne dans l'antre du cargo, miroir des profondeurs de l'intime, dont le coeur bat sous sa coque de métal. J'ai aimé me fondre dans les entrailles du cargo à l'écoute de sa respiration.

« Quelque chose s'est planté dans ton gros coeur, bateau. Un harpon, invisible et puissant. L'arrêt de mort de quelques certitudes. Tu nageais dans ton propre sang, quand je n'avais en tête que la routine et les petites habitudes comptables du soir. »

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Le personnage de la commandante est vraiment très intéressant, pleine de contradictions, à la fois autoritaire, fragile, sensuelle et incertaine.

« Elle veut poser ses mains sur les hanches de l'animal, en sentir la chaleur, se laisser emporter par le trouble que ça produira, amoureuse, presser ses doigts contre la peau vibrante. Toutes paumes ouvertes, elle se laisse aller au glissement sur la mer, à cette brûlure au bas du ventre. »

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Pour conclure, je suis absolument charmée par la singularité de ce roman à la très jolie couverture. Mariette Navarro sait décrire les variations dans les émotions, jouant avec la houle, la météo, les caprices du bateau. Dès les premières lignes, j'ai été envoûtée par la délicatesse de ce texte d'une incroyable poésie, laissant dans les silences, place au mystère et à l'imagination.
Une introspection troublante, obsédante, fascinante, qui pointe nos rêves, nos fêlures, nos convictions qui s'effritent, nos erreurs, nos peurs, et nos propres dérives.

« Sur le cargo qu'il dessine aussi, minuscule entre deux points, mais tourné tout entier vers ce nouveau rivage, il trace à la place du nom un oeil grand ouvert, aux cils fins, à l'iris translucide.
Quand il a achevé son dessin, appliqué, précis, il prend la gomme et veut rendre à la feuille son allure de travail, un outil de mesure aux repères immuables. Puis se ravise. Laisse la trace de son passage, son petit enfantillage, sa minuscule dissidence. »

***
Un grand merci à mes amies, Chrystèle, Onee, Bichonbichette, Danaël, Flaubausky, et Alex, j'ai adoré ce roman. Un presque coup de coeur.
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