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sur 563 notes
Éloge du pas de côté, éloge de la dérive, ce livre « Ultramarins » de Mariette Navarro donne à voir ce que procure une parenthèse de légèreté dans un monde de règles et d'habitudes : renaissance et retour sur soi, accueil de l'onirisme et de l'étrangeté. C'est un petit livre inclassable, différent dans lequel l'écriture est reine et magique.

Nous sommes sur un cargo dont la commandante, très rigoureuse, pragmatique et professionnelle, maîtresse des cartes, des marchandises, des embruns et des hommes, va autoriser aux marins une baignade en haute mer. Va octroyer le droit à la dérive, à sortir du cercle des normalités.

« Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s'est glissé».

Cette baignade, observée par la Commandante du haut du cargo, est temps sacré pour eux, toujours soumis aux routines, aux obligations. Cette baignade, décrite avec minutie et délicatesse est renaissance.

« Ils naissent adultes et de leur plein gré, les pieds en avant, les bras le long du corps, et dans la gorge un chant retenu, un cri débutant».

Ce pas de côté autorisé, en dehors de tout respect des normes de sécurité, de tout respect des procédures qu'elle connait sur le bout des doigts, va constituer une faille dans laquelle l'étrangeté va se glisser. Comme si, désormais, l'intérieur de son ventre était plus poreux aux vents marins. Comme si, mordue, elle rejetait pour la première fois les lignes droites de son horizon personnel et professionnel.

« L'espace d'une seconde ils renversent l'ordre des choses, peut-être que quelque part des oiseaux prennent leur envol à l'envers ou qu'une rivière, d'un coup, remonte à sa source : voilà ce qu'ils pressentent, en vrac, et chacun dans sa langue ».

Sensation d'avoir prise sur le temps, ralentir chaque geste, ralentir la traversée à l'intérieur d'un cargo devenu vivant, peut faire durer indéfiniment ce moment de rêves, de désir, de sensualité, de laisser aller, de lâcher prise.

« Elle veut poser ses mains sur les hanches de l'animal, en sentir la chaleur, se laisser emporter par le trouble que ça produira, amoureuse, presser ses doigts contre la peau vibrante. Toutes paumes ouvertes, elle se laisse aller au glissement sur la mer, à cette brûlure au bas du ventre ».

Fable maritime à la fois poétique et rugueuse, j'ai pris un plaisir fou à suivre cette commandante et ses marins. le quotidien sur un bateau, sorte de huis-clos oppressant, le dérèglement climatique, le féminisme, sont évoqués avec grâce et sans jargon technique pouvant perdre le lecteur. Ce livre est une parenthèse enchantée.

A noter le titre et la couverture qui m'ont littéralement happée ! Merci à @MadameTapioca pour cette découverte de la rentrée littéraire.
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Elle qui est parvenue à s'imposer comme commandante de cargo au prix d'une discipline de fer et d'un investissement de tous les instants, sait que tout écart de vigilance peut lui coûter la confiance et le respect de ses hommes d'équipage. Pourtant, une inexplicable impulsion lui fait accepter leur fantaisiste requête : en dépit du règlement maritime et des consignes de sécurité, pendant qu'elle restera seule à bord de leur navire mis en panne, radars coupés, tous s'offriront une baignade en plein milieu de l'Atlantique. Etrangement, quand, après cet intermède aussi clandestin qu'impromptu, chacun a regagné son poste, un changement de plus en plus perceptible se fait sentir à bord, comme si un nouvel esprit d'indépendance avait investi jusqu'au bateau lui-même...


« Il y a les vivants, les morts, et les marins. » Cette commandante de navire n'en a pas vraiment fait le choix, elle sait qu'elle appartient à la mer, et, qu'après chaque escale, il lui tarde de repartir, là où, face à l'horizon, elle a sa place, loin de l'immobilité des foules, dans un espace comme suspendu à l'écart de la vie ordinaire, une parenthèse de dérive et de respiration. Sans se poser la question de ce qui la pousse à larguer les amarres de la sorte, elle a corseté sa vie en séquences ordonnées, passant sans cesse de la terre à la mer, au gré de ses engagements qu'elle investit avec une autorité et une discipline toutes militaires. Il faut dire, qu'en dehors des conditions météorologiques, la course des cargos n'a rien d'aléatoire, et qu'au final, même en mer, la vie finit par être aussi millimétrée que partout ailleurs. Surtout pour une femme, lorsqu'elle doit constamment faire ses preuves dans un univers masculin…


Alors, un jour, dans cette routine insidieusement devenue trop pesante, voire même proche du non-sens, survient presque inconsciemment un sursaut, une sorte d'acte manqué, un « oui » lâché sans réfléchir à une demande incongrue mais qui devait faire écho à une envie de transgression profondément refoulée. Soudain révélée, la fêlure longtemps ignorée devient brusquement lézarde. Et c'est comme si un autre moi venait sans prévenir de prendre le contrôle, débrayant définitivement ce qui n'était plus devenu qu'une sorte de pilotage automatique. A l'unisson de cette transformation inopinée, le bâtiment lui-même répond différemment, le rationnel fait place à la fantaisie, et le lecteur, fasciné, bascule avec surprise dans un mystère teinté de poésie.


Ce premier roman merveilleusement original est une jolie surprise métaphorique, un rien désarçonnante, pleine d'une onirique fantaisie ouvrant plusieurs niveaux de lecture. C'est d'ailleurs en le parcourant une seconde fois que chacune de ses phrases se déploie avec une nouvelle force poétique, renouvelant le délice de ses mots judicieusement choisis. Entre frisson, poésie et mystère, une plume de qualité pour un singulier coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Je ne peux rejoindre les nombreuses et belles critiques de ceux qui ont aimé ce livre, même si je reconnais qu'il porte une certaine poésie de la mer, avec de beaux extraits des perceptions, sentiments, angoisses, attentes, incertitudes des protagonistes.

A mon goût, il ne tient pas la promesse d'un vrai livre de mer que j'ai trouvée bien absente. C'est le bateau qui est la vedette ainsi que sa commandante pour laquelle je ne suis pas parvenu à ressentir d'empathie. Elle est dans une perpétuelle interrogation, sur ses hommes, son bateau, elle-même. Elle m'a donné l'impression de subir les événements, tout en dégageant pourtant une personnalité que l'on sent forte mais qui ne parvient guère à s'extraire de ses carcans personnels.

Passons sur le cliché de la femme aux commandes, rien d'anormal de nos jours, elles pilotent des avions, vont dans l'espace, dirigent des entreprises, des pays, aussi bien ou aussi mal que les hommes. Il y a probablement trop souvent un regard différent des hommes envers elles, certainement sur ce bateau, mais les rumeurs de la mer concernent là aussi les hommes, les grands capitaines comme les plus modestes.

Quant à l'assimilation du bateau à une baleine harponnée, non, là, je ne peux plus suivre cette Moby Dick des temps modernes, bien nonchalante, qui finalement arrivera tranquillement au port de destination.

J'y suis parvenu aussi, sans l'enthousiasme attendu.
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Ce cher Platon avait vu juste dans cette citation devenue célèbre : « Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. »
La romancière Mariette Navarro, elle aussi a vu juste, dans la puissance de convoquer dans un même récit ces trois populations.
Cet étonnant premier roman, Ultramarins, insolite, atypique, m'a cueilli et entraîné dans les rouleaux de son étangeté.
Mariette Navarro m'a invité à monter à bord de ce cargo en partance pour l'autre côté de l'océan Atlantique.
Combien de fois par semaine ne vais-je pas flâner aux portes de cet océan sur un chemin côtier qui longe le littoral ? Je rêve souvent à des rivages lointains en voyant ces navires se dessiner sur la crête de l'horizon, ce sont souvent des porte-containers, des édifices solides et impressionnants, mais qui tremblent brusquement sous mes yeux comme de fragiles embarcations...
Ultramarins dit cela.

Cargo de nuit... Trente-cinq jours sans voir la terre...

La particularité est que ce cargo est sous le commandement d'une femme, elle-même fille d'un commandant, elle dirige un équipage de vingt marins.
Je suis monté à bord de cet animal métallique, je me suis caché dans son antre tel un lecteur clandestin. Qui sait si je n'étais pas brusquement devenu ce vingt-et-unième marin qui comptait à l'appel... ?
Ultramarins n'est pas vraiment un livre, c'est un vertige...
Pensant dérouter ce cargo de sa trajectoire, c'est moi qui ai été dérouté de mes certitudes...
Elle mène ses hommes comme elle conduit les marchandises à bord, jusqu'à bon port, les ordres, les obligations, les procédures, elle connaît, tenant d'une main de fer la barre de son navire.
Pour autant, ce n'est pas une tyran, la preuve lorsque sous le mitan d'un soleil accablant, elle cède à la demande de plusieurs d'entre eux et décide de leur accorder une pause rafraîchissantes dans la grande bleue...
J'ai observé ces marins, des durs à la manoeuvre, des gros bras, devenir brusquement des enfants de dix ans plongeant dans la mer comme dans un baquet...
Je n'ai pas pu résister moi non plus à ce plongeon éperdu.
C'est une plongée en apnée dans les eaux libres d'un océan. L'élément aquatique était comme le liquide amniotique qui nous protégeait des malheurs du monde. Nous étions des méduses, nous étions nus sous les regards de la commandante du haut de sa cabine de pilotage.
J'ai vu la chair et le métal défier les règles de l'alchimie et fusionner dans un océan de bonheur.
J'ai aimé ce bain de mer jouissif, j'ai aimé ces pages sensuelles, éprises de lenteur et de poésie, ce lâcher prise, ce pas de côté...
Je regardais ces hommes qui nageaient avec leurs gros bras, ils souriaient, riaient, il y avait cette enfance enfouie au fond d'eux qui surgissait avec sa fragilité, son innocence dans l'élément marin. C'était comme une seconde naissance.
Cette plongée ouvre une brèche dans l'océan.

Oh Oh... Vertige de la mer...

Il y avait aussi comme de l'inquiétude à savoir ce vide infini sous nos corps légers, à prendre peur brusquement de la réalité des choses et de notre fragilité lorsque nous avons cru que le bateau n'était plus là...
Et puis nous sommes remontés à bord du cargo...
C'est un vertige abyssal comme si une partie du fond de l'océan allait remonter à la surface avec ses hommes revenus de leur bain.
Brusquement, à la suite de cette baignade, c'est là que les choses vont se dérégler, tout, les moteurs, les radars, les trajectoires, la météo, le ciel, la mer, mais surtout l'équipage, mais surtout la commandante...
J'ai vu cette commandante entre ciel et terre, j'ai vu sa carapace se fissurer sous les assauts de la mer, devenir la proie du doute.
Il y a quelque chose brusquement qui aborde les limites du fantastique, dans l'envers du décor marin, dans ce dérèglement des sens...
Durant les pages suivantes j'ai continué de perdre pied et c'était comme une inquiétude qui remontait en moi, une peur enfouie, l'ivresse à la dérive de quelques émotions à fleur de peau...
Perdre ses repères, perdre le contrôle des choses, tanguer jusqu'à l'ultime...
J'ai aimé ce roman envoûtant... J'ai aimé être sous son emprise...
J'ai aimé l'étrangeté de ce texte, ses tangages, sa dissidence, sa poésie.
J'ai aimé être en apesanteur dans cet espace-temps de cent cinquante-six pages.
J'ai été saisi par l'irruption du grain de sable dans un roulis si bien appris, qui déstabilise, qui dévaste...
C'est une faille par où s'engouffrent toutes nos illusions. On ne nous apprend pas cela à l'école de la vie, apprendre à savoir douter...
« Il y a les vivants, les morts, et les marins », scande la toute première phrase du récit.
Et nous autres lecteurs qui oscillons souvent entre les vivants et les morts, à quelle famille appartenons-nous lorsque nous sommes brusquement immergés dans les eaux profondes d'un livre... ?

C'est l'ultramarine solitude.

Merci aux nombreux amis qui m'ont entraîné dans la dérive océanique de ce très beau récit.
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Ultrabeau ! Un bel objet de 145 pages pour les envies de jolie plume, de sensations poétiques. Ultramarin, c'est une fable onirique sur ce fragile équilibre à trouver entre nos libertés et la routine quotidienne où l'on se laisse régir par les devoirs. Cet équilibre on le cherche tout le temps, que ce soit dans la vie familiale, professionnelle, ou encore de citoyen. Parfois, on se rend compte qu'on a laissé nos petites libertés se faire grignoter. Alors on tente d'en reprendre le contrôle. Même les marins, courant après l'aventure infinie dans un paysage sans limite, y sont confrontés : Leur vie n'est pas dépourvue de barrière, ni d'une certaine routine aussi rassurante qu'agaçante.


« Parfois elle ne sait plus rien faire, et son corps est arrêté, où qu'elle aille, par une barrière, un escalier, un règlement, un garde-fou, une nouvelle porte, un danger, un coup de vent, (…) une échelle, un doute, un horaire, un changement de température, un radar, une consigne de sécurité, une somnolence, une voix, une alarme incendie, une totale impuissance. »


Dans cette histoire, une commandante expérimentée a vingt marins sous ses ordres. Elle les dirige d'une main de fer dans un gant de velours, sans relâche pour que son autorité féminine demeure sans faille. Mais le carcan parfois est trop serré. Alors si rien qu'une fois, juste cette fois, on brisait les chaînes, on prenait ou reprenait le contrôle de nos corps, de nos vies, de nos destins. Si, rien qu'un instant, un tout petit instant, on se sentait libre, dans l'immensité bleue à perte de vue, là où l'eau se mélange avec l'air, le ciel avec la mer… Si l'on s'accordait de l'espace, après ces jours à vivre les uns avec les autres, les uns sur les autres ? Une baignade, rien qu'un plongeon et quelques brasses. Nos rires et des frissons, de froid, de peur ? Qu'importe, la liberté, dit-on, n'a pas de prix. Pour une fois, ces hommes, sur lesquels la carapace métallique du bateau commençait à déteindre, ont eu envie de se mettre à nu. Et elle a dit : « D'accord ». D'accord, jetez-vous à l'eau et ôtez vos carapaces, d'accord passons sous les radars un moment, volons cet instant sans surveillance pour faire autre chose que ce que l'on attend de nous, pour une fois.


Et l'on profite avec eux de ce délicieux moment du passage à l'acte, qui prend son temps, savoure en conscience la sensation du corps qui pénètre lentement dans les eaux interdites sous la caresse sensuelle du soleil. Voilà en quoi Ultramarins peut toucher tout un chacun : sa métaphore s'applique à cette envie que nous avons tous déjà eue, que nous avons peut-être régulièrement, de tout plaquer une minute pour souffler un peu. Oter les masques, surtout en période de pandémie, et laisser respirer la peau dessous, tous nos pores, tout notre être pour nous sentir enfin ultralibres. « Voir ce qui advient quand elle ne commande plus rien ». Et puis,


« En une seconde ils sont sous l'eau, les cheveux méduses, enfin livrés à autre choses qu'aux embruns, ondulent, libèrent de leur pression les crânes, ne pèsent plus rien. »


Pourtant rapidement, un léger vertige nous prend, à flotter à la surface d'un immense vide que l'on se sent insuffisant à remplir, comme un tourbillon d'inconnu dans un océan de règles, un vent de panique qui agite les vagues à surmonter, remous qui dans notre affolement nous paraissent d'un coup insurmontables, nous cachent la vue des autres et de leur soutien. Parce que comme toute liberté, celle-ci fait un peu peur. Comme toute liberté dérobée, ou retrouvée, on ne sait peut-être pas totalement l'habiter du premier coup, nous l'approprier et surtout l'assumer. Nos consciences nous questionnent et, comme elle est volée, on doit désormais la taire, elle est notre secret. Un secret qui prend toute la place dans les silences, les non-dits, entre deux procédures, il s'infiltre dans les pensées, les recoins du bateau.


« Pour d'aucuns c'est trop tard, ils ont eu la vision nette des kilomètres sous leurs pieds, et ce qu'ils ne s'attendaient pas à rencontrer ici, le vertige, est arrivé. Plus de différence entre les corps suspendus au-dessous des ponts et de tous les parapets, les corps en montagne qui escaladent cherchant le vide, et leur corps à eux, ici et maintenant, leurs corps d'innocente baignade. Plus de différence entre les étages angoissants du suicide et la nage prudente autour du canot. L'idée s'est ouverte sous leurs pieds, et dans leur ventre, un déchirement. »


Dans ce très joli texte, où l'humeur météorologique du paysage suit celle de l'équipage, ses joies, ses doutes, ou encore sa confiance retrouvée en l'humain, sa routine, ses règles rassurantes, la liberté se vit comme une évasion, quelque chose à conquérir mais qui n'a aucun sens dans l'absolu, sans ses limites, sans les contraintes qui la cantonnent à quelque chose à taille humaine.


« A terre, ce serait mettre son bras autour du cou d'un cheval et respirer avec lui. Attendre qu'une confiance naisse, un lien muet, dont on se fait croire qu'il est une fidélité, quelque chose d'éternel alors qu'on sait que tout est chaque jour à recommencer. »


Quelque chose d'essentiel mais de maitrisable.


« Ils n'auront pas dessiné un filet bien large au milieu de l'océan.
Ils n'auront pas nagé plus de trente-cinq minutes.
Ils n'auront pas été autre chose que des créatures terrestres qui paniquent dans le bleu.
Ils auront vu leur vie résumée dans une vague, espéré le rivage et le réveil. »
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Qu'ajouter sur ce livre après les critiques magnifiques de tant de mes amis.
Un roman envoutant qui décrit une journée hors du temps sur ce cargo qui rejoint les Antilles, que cette commandante mène d'une main de fer pour assurer son autorité de femme dans ce monde d'hommes. Et pourtant elle a dit d'accord à cette proposition de baignade.
Et, la journée commence donc par un arrêt au milieu de l'océan, pour une plongée au coeur de l'océan pour ces hommes. Ils vont nager nus dans l'eau, cet élément fondateur :
" Ils naissent adultes et de leur plein gré, les pieds en avant, les bras le long du corps, et dans la gorge un chant retenu, un chant débutant. "

Un moment hors du temps, hors des règles, hors du carcan des habitudes. un moment euphorisant mais aussi très vite inquiétant :
"Mais, pour d'aucuns, c'est trop tard : ils ont eu la pensée nette des kilomètres sous leurs pieds, et ce qu'ils ne s'attendaient pas à rencontrer ici, le vertige, est arrivé. Plus de différence entre les corps suspendus au-dessus des ponts et de tous les parapets, les corps en montagne qui escaladent cherchant le vide, et leur corps à eux, ici et maintenant, leur corps d'innocente baignade. Plus de différence entre les étages angoissants du suicide et la nage prudente autour du canot. L'idée s'est ouverte sous leurs pieds, et dans leur ventre, un déchirement."

Et la suite de la journée bascule : une personne de plus sur le bateau, un banc de brume inexpliqué, les moteurs qui ralentissent sans que l'équipage ne puisse détecter de panne. L'atmosphère devient étrange et cette femme plonge aussi, non dans l'océan mais dans l'irréalité, dans le ventre du bateau, dans le coeur de celui-ci qu'elle entend battre, dans ses souvenirs, dans cette peine jamais exprimée de la mort de son père.

Je me suis laissée bercée par cette fable, cette écriture poétique, cette journée entre rêve et réalité.

Merci à Chrystèle, Bernard, Onee, Sandrine, Yves et tous les autres qui par leurs mots m'ont donné envie de découvrir ce livre
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Thy salt is lodged forever in my blood… Voici la dernière phrase d'Ultramarins, bien cachée juste au-dessus de sa date d'impression, une phrase tirée du superbe poème Dreams Of The Sea du poète gallois William H Davies. La mer pour passion, qui ronge les sangs des marins, et étend sur eux leur emprise …
Selon Mariette Navarro, les marins se classent dans une catégorie bien spécifique : « Il y a les vivants, les morts, et les marins ». (p.35). Moi, je classe Mariette Navarro dans la catégorie des poétesses, des enchanteresses, des magiciennes et des sirènes …
Sa mélodie harmonieuse m'a envoutée, happée, entraînée par le fond. J'ai risqué la noyade les yeux grands ouverts, prête à découvrir les abysses, le triangle des Bermudes, ceinte d'un brouillard de coton opaque et oppressant.
Quelle plume magnifique qui nous entraîne dans un autre univers, celui de la mer, de la solitude, mais aussi de la folie, un univers où il n'y a pas d'explications, on dérive, on subit, on vit au rythme du coeur du bateau, car oui, si vous ne le saviez pas, les bateaux ont un coeur et aussi une âme …
Plongeon délicieux dans l'océan de poésie des mots de Mariette Navarro, qui tanguent, nous portent, scintillent et se reflètent à la surface des flots.
Une jeune commandante de cargo règne sur son équipage de 20 hommes telle une maîtresse-femme. Rien ne lui échappe, tout est sous son contrôle, maîtrisé…
Pourtant surgit une faille, un mot fou, un « oui d'accord » sorti de ses lèvres sans qu'elle puisse l'expliquer, cédant à une demande de son équipage de se baigner en pleine mer. Au mépris de toutes les règles le plus élémentaires de sécurité, les radars anti-collisions sont coupés, le cargo devient vaisseau-fantôme et disparaît des cartes.
« En une seconde ils sont sous l'eau, les cheveux méduses, enfin livrés à autre chose qu'aux embruns, ondulent, libèrent de leur pression les crânes, ne pèsent plus rien. » (p.27)
Les hommes plongent nus, mais la parenthèse enchantée se referme rapidement sur eux jusqu'à tenter de les noyer. Tous remontent sur le bateau la peur au ventre, avec la sensation étrange que quelque chose vient de basculer, et que la vie à bord ne sera plus la même.
Des phénomènes inexpliqués vont alors se produire, plongeant l'équipage dans une atmosphère inquiétante…
« Elle sait qu'on n'est pas toujours les bienvenus sur le dos des océans, qu'on ne peut pas impunément s'agripper à leur crinière. » (p.39)
Un vrai coup de coeur pour cette lecture empreinte d'une douce et perturbante poésie qui nous fait lâcher prise, nous emporte ailleurs. Nous surfons sur les vagues de notre imaginaire, dans une chevauchée hors du cadre, à la lisière du fantastique.
Le titre et la couverture d'Hugues Vollant sont une superbe et intrigante invitation au voyage, à la rêverie, au grand départ, à l'inconnu… Laissez-vous bercer par le rythme des vagues venant tambouriner sur la coque de vos souvenirs, levez l'ancre, fermez les yeux, larguez les amarres, touché ? coulez …
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Il ne se passe rien, rien qui relève des grands récits de mer célébrant le courage des marins face aux tempêtes. Ce n'est pas non plus un récit où on entend le bruit des cordages sous le vent, ou le claquement des vagues contre la coque, et pour cause, nous sommes à bord d'un cargo de marchandises, un géant des mers inébranlable … jusqu'à l'auteure y glisse de manière clandestine quelque chose de l'ordre de l'inquiétant de l'insaisissable, transformant le porte-conteneurs en un vaisseau fantôme figé au milieu de l'Atlantique.
Cet environnement métallique devenu théâtre d'une introspection, Mariette Navarro veut nous embarquer dans un vagabondage poético-fantastique dans lequel on ne comprend pas grand chose. On se trouve au coeur d'une errance troublante dans le temps et dans l'espace, pris d'une sorte d'hallucination, un peu comme dans un rêve entre la fin du sommeil et l'appel de l'aube dans lequel le présent est une surface amorphe et interminable et le passé fait irruption en réactivant les résonances d'une histoire intime jusque-là entourée de digues de protection.
Temps distendu à l'infini, stupeur, perte de repères malgré les multiples instruments de mesure qui indiquent toujours le nord, on s'égare dans ce récit dont les contours se brouillent. Et il m'est bien difficile de trouver les mots capables de définir mon ressenti dans cet univers tenu par les émotions.

Si j'ai été conquise par les premières pages, ses évocations mettant en scène l'immensité de l'océan ou même par l'idée d'une expérience sensorielle, j'ai par la suite été gênée par l'insuffisance de dialogue entre les situations décrites et les sentiments exprimés. dans ce genre de texte propre à célébrer la prédominance du ressenti sur les faits, la narration m'est apparue trop flottante, trop lâche pour ne pas donner un résultat terne. C'est tout un art de poser son regard sur les émotions soudaines , ce qui s'infiltre dans chaque fibre de l'être, de manière évanescente, c'est peut-être ce qu'il y a de plus difficile en littérature, et je n'ai pas ressenti de finesse narrative à cet endroit.
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« Dans le geste connu, le geste de travail, dans le geste refait chaque jour, un espace s'est glissé. Un tout petit espace blanc inexistant jusqu'alors, une seconde suspendue. Et dans la seconde suspendue, la seconde imprécise, toute la suite de la vie s'est engouffrée, a pris ses aises, a déroulé ses conséquences. »
Ode à cette seconde suspendue, à ce temps qui s'arrête, au moment où une pause devient faille. Une commandante de bord autorise une baignade à ses marins au milieu de l'océan et l'étrange survient.
Un roman d'atmosphère, mystérieux, aussi brumeux que l'épaisse nasse entourant le navire. Un texte poétique, inattendu et apaisant.
Sur la mer comme dans la vie (et en littérature), parfois, il faut seulement se laisser porter 😉
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Théâtre de mythes, de légendes, de récits étranges racontés par les marins, le monde de la mer attire, depuis toujours, par sa beauté, sa puissance et ses mystères. Mais l'océan nous fascine autant qu'il nous terrifie.

Le roman de Mariette Navarro nous emmène dans un monde sensoriel où la réalité et la magie se fondent dans un intervalle hors de l'espace-temps. Son écriture aérienne et fluide s'accorde au roulis de la mer, aux pulsations du cargo, aux humeurs de l'équipage et de leur commandante, m'enveloppant de sensations de légèreté et d'apesanteur.

*
Avec« Ultramarins », je suis devenue une petite goutte d'eau. Aventureuse, je me suis fondue dans les embruns salés. Emportée par le vent, j'ai suivi le contour de la houle, jouant dans les lames et les crêtes d'écume blanche.

Lorsqu'un immense cargo s'est profilé à l'horizon, curieuse, je me suis approchée. Et je me suis arrêtée devant une scène des plus insolites : au beau milieu de l'océan atlantique, très loin des côtes, au mépris de toutes les règles de sécurité, des marins se baignent nus.

« Depuis la passerelle on a stoppé l'élan, piqué le cargo au centre du rond de tissu et fait, des tonnes de métal, un papillon mort, cloué, magnifique. »

Leur commandante les a autorisés à aller se baigner. Restée à bord, elle les observe, seule, préoccupée, se demandant comment elle a pu accepter cette folie, elle si professionnelle, si respectueuse du protocole, si soucieuse de ses hommes et de son bateau.

« Alors l'espace nouveau juste sous son coeur est du même ordre que cette plongée maladroite. Pas besoin de se jeter à l'eau avec eux pour ressentir leur vertige. Elle sait qu'il faut compter avec ça à partir d'aujourd'hui : une morsure, un rejet violent de toutes les lignes droites. »

Un premier petit grain de sable vient se glisser dans l'engrenage et briser la routine bien huilée.

*
Dans leur euphorie, les marins en oublient que la mer, traîtresse, peut se refermer sur eux et les emprisonner dans ses profondeurs. Dans leurs jeux, ils en oublient tous les dangers, la profondeur des abysses, la puissance des courants, les monstres marins. Les hommes, inconscients du danger, tout à leur joie de cette baignade improvisée, sont redevenus des enfants dans cette eau bleue cristalline.
Petite goutte insignifiante dans l'immensité bleutée, je me suis mêlée à leurs jeux insouciants et à leur joie.

Mariette Navarro parvient à étirer le temps en une prose contemplative.
J'ai aimé ce moment suspendu, hors du temps, où petite goutte, je me suis sentie vivante et libre, toute à ma joie de profiter de ces instants rares et éphémères.

*
Dans le cercle protecteur du bateau, les marins continuent à jouer, mais progressivement, des pensées inquiétantes s'immiscent dans leurs plaisirs insouciants. Insensiblement, les images joyeuses qui les emportaient dans cet océan onirique, laissent la place à une menace sourde et indéfinissable.
Dans les abysses en dessous, un monde inquiétant, froid, sombre, glauque se dévoile qui terrifie les hommes, mais les attire aussi. Et l'océan, si bleu, si scintillant, si calme, quelques instants auparavant, les enlacent de ses vagues, les emprisonne, les ballotte, les isole et tente de les noyer.
Saisis d'un sentiment de vertige, un deuxième petit grain de sable vient de s'immiscer dans les rouages, laissant s'insinuer la peur et le doute dans leur quotidien.

*
J'ai trouvé l'écriture de Mariette Navarro vraiment d'une grande sensibilité et d'une douce sensualité. Son style épuré, sa poésie m'ont emportée dans un huis-clos angoissant d'une étrange beauté.
Le récit ondoie, suit les mouvements de la houle et s'accorde avec les émotions des marins et de leur commandante.
Chaque virgule du texte imprime un rythme chaloupé, sensuel et mélodieux qui nous entraîne dans l'antre du cargo, miroir des profondeurs de l'intime, dont le coeur bat sous sa coque de métal. J'ai aimé me fondre dans les entrailles du cargo à l'écoute de sa respiration.

« Quelque chose s'est planté dans ton gros coeur, bateau. Un harpon, invisible et puissant. L'arrêt de mort de quelques certitudes. Tu nageais dans ton propre sang, quand je n'avais en tête que la routine et les petites habitudes comptables du soir. »

*
Le personnage de la commandante est vraiment très intéressant, pleine de contradictions, à la fois autoritaire, fragile, sensuelle et incertaine.

« Elle veut poser ses mains sur les hanches de l'animal, en sentir la chaleur, se laisser emporter par le trouble que ça produira, amoureuse, presser ses doigts contre la peau vibrante. Toutes paumes ouvertes, elle se laisse aller au glissement sur la mer, à cette brûlure au bas du ventre. »

*
Pour conclure, je suis absolument charmée par la singularité de ce roman à la très jolie couverture. Mariette Navarro sait décrire les variations dans les émotions, jouant avec la houle, la météo, les caprices du bateau. Dès les premières lignes, j'ai été envoûtée par la délicatesse de ce texte d'une incroyable poésie, laissant dans les silences, place au mystère et à l'imagination.
Une introspection troublante, obsédante, fascinante, qui pointe nos rêves, nos fêlures, nos convictions qui s'effritent, nos erreurs, nos peurs, et nos propres dérives.

« Sur le cargo qu'il dessine aussi, minuscule entre deux points, mais tourné tout entier vers ce nouveau rivage, il trace à la place du nom un oeil grand ouvert, aux cils fins, à l'iris translucide.
Quand il a achevé son dessin, appliqué, précis, il prend la gomme et veut rendre à la feuille son allure de travail, un outil de mesure aux repères immuables. Puis se ravise. Laisse la trace de son passage, son petit enfantillage, sa minuscule dissidence. »

***
Un grand merci à mes amies, Chrystèle, Onee, Bichonbichette, Danaël, Flaubausky, et Alex, j'ai adoré ce roman. Un presque coup de coeur.
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