Les rêves les plus fous ne sont-ils pas les meilleurs moteurs de l'existence ? (p. 32)
Quand il écrit [Radiguet ], il ne boit pas .Quand il ne boit pas .ni n'écrit, il se noie de désespoir dans le quotidien. Seuls les livres lui offrent une respiration qui lui fait oublier de flirter avec le danger, de redouter la banalité et qu'il lui faut vivre , intensément, se brûler avec méticulosité, pour justifier l'existence. (p. 19)
Une vie sans danger vaut-elle la peine d'être vécue?
Le journaliste sait la partie gagnée. Et il est en train de comprendre que, quelques soient les circonstances, Radiguet parviendra toujours à ses fins. L'adolescent est animé de la rage des gagnants. Il flaire les bons leviers et sait susciter les grâces des gens influents. S'il s'est cogné contre le mur Appolinaire, il possède une qualité essentielle et ô combien complémentaire de son talent: c'est un grand charmeur.
Savoir se faire désirer est la clef d'une liaison qui dure. Il a compris qu'il pouvait hanter Jean en étant tour à tour proche puis insaisissable.
Trois ans déjà que cette sombre guerre monopolise les énergies et la joie, et qu'on se sent coupable de vivre presque normalement si près de la ligne de front. (p. 31)
La règle du désir s'applique une fois de plus; plus l'objet des convoitises est distant et plus il devient à son insu, obsédant jusqu'à l'extrême.
Raymond [Radiguet ] a une culture livresque impressionnante pour son jeune âge, les auteurs du siècle dernier n'ont pas de secrets pour lui et un de ses objectifs majeurs est désormais de rencontrer Apollinaire, qu'il considère comme un maître. Il se projette, se voit dans l'entourage du poète, s'imagine composer des vers sous son aile protectrice et galvanisante... (p. 36)
Il remercie le patron d'un hochement de tête. Tout se passe comme si un ange gardien veillait sur lui et avait chargé l'aubergiste de faire de même. En ce début de soirée délicieux, Raymond porte un pantalon de flanelle et une blouse de pêcheur. Il griffonne quelque phrases sur le papier à en-tête de l'hôtel, devant une assiette parfumée de petits pois, d'asperges et de pommes de terre. Dans un plat, à côté des légumes, des oursins et une sole grillée lui font monter l'eau à la bouche. Il attaque les mets avec appétit, s'interrompt dix minutes plus tard, fourchette en l'air, et ce dont il prend conscience le laisse pantois : la solitude lui réussit fort bien.
Raymond possède un sixième sens développé: il sait ce que l'autre, face à lui, ressent et pense. Il lit dans le coeur des êtres qu'il croise. Et sa grande intelligence lui permet d'identifier et de cerner les zones les plus obscures.
De savoir ce qui es tu.