Obscure clarté, tome 1

J’ai une façon bien particulière d’écrire un roman. Je ne pars jamais avec une idée précise de l’intrigue, ni même des événements importants. Non, au début, je ne travaille que mes personnages. Ensuite, je les place dans une certaine situation, et j’observe. C’est une expérience sociale, une étude psychologique. Je travaille sur la rencontre de différents caractères, je décris les relations interpersonnelles. Et bien souvent, l’intrigue se créée d’elle-même. Cette dernière doit mettre à l’épreuve les convictions les plus profondes des personnages, elle doit changer quelque chose ancré en eux. Lorsque cela est fait, peu importe la fin, je sais que le roman est réussi.

Certains ne croiraient pas à mon amitié avec cet homme, puisqu’il ne connaît rien de mes secrets. D’autres me diraient que je suis une personne horrible, à cacher tant de choses à quelqu’un que j’appelle mon ami. Je suis peut-être une mauvaise personne. Enfin, que dis-je, je suis une mauvaise personne, mais l’amitié que j’entretiens avec ce garçon est trop pure pour que je la tache de ma saleté.

Je plonge mes yeux dans le bleu des siens. Je ne sais pas. Tous mes sens me brûlent de dire non, de ne pas m’aventurer dans cette lueur d’espoir.

Je soutiens son regard, lui faisant baisser les yeux de mes iris naturellement assassins. Finalement, sous le regard bleuté de Riley à qui j’offre un dernier sourire, Elizabeth me rejoint. Nous marchons quelques mètres entre les étudiants de Columbia.

Aujourd’hui, j’écris sur ce que je vois. La vie étudiante emplie de rires et de rêves que les étudiants pensent encore réalisables. Espoir et joie y sont les maîtres-mots. Un environnement bien différent du mien, sans aucun doute.

Pour la première fois, je suis excité à l’idée de faire quelque chose sans être enfermé dans mon loft avec pour seule compagnie ma musique, mon cannabis et le logiciel de traitement de texte de mon MacBook. Chercher l’expérience en dehors de sa propre vie n’est peut-être pas une si mauvaise idée que ça.

Le besoin indispensable d’une muse se fait sentir. Je ne peux plus écrire sur moi. Après cinq romans, je suis arrivé au bout de moi-même. Et c’est seulement lorsqu’on me met la pression que je semble m’en rendre compte. Mais au fond, je le savais.L’écriture de ce prochain roman s’annonce plus périlleuse que les fois précédentes. C’est pourquoi je l’ai choisie, elle. Si je ne peux plus écrire sur mes démons, j’écrirai sur les siens. Espérons seulement qu’elle me laissera les entrevoir.

J’ai besoin de faire ressortir de nouvelles choses de moi. Je n’ai pas un comportement autodestructeur pour la seule et bonne raison que je suis en permanence en thérapie, l’écriture est ma thérapie. Si je n’écris pas, je ne vis pas. Pire, si j’écris un mauvais roman, je suis fini.Nul besoin d’être un génie pour comprendre ce qu’il me faut : des expériences.Or c’est ce que je recherche avec elle. Je ne la connais pas. Je n’ai pas envie de la connaître. Mais il le faut. Elle a cette noirceur lumineuse que je recherche.Suis-je une personne horrible à l’utiliser de la sorte ? Pas si elle ne s’en rend pas compte. Et le seul moyen pour que cela marche est de jouer la comédie à la perfection.

Écrire, manger, respirer, dormir, manipuler, voilà ce qui m’est naturel. La vérité est là, celle que j’ai avouée à cette mystérieuse blonde. Je m’ennuie. J’ai besoin de renouveau. Alors, lorsque le professeur Johnson a proposé de travailler de nouveau avec moi, j’ai accepté.

Je suis loin d’être une star de cinéma, mais sur le campus d’une université, les chances que je sois reconnu sont décuplées. Je hèle un taxi, m’installe sur la banquette arrière et donne au chauffeur l’adresse de mon appartement, dans l’Upper East Side. Je profite du trajet pour réfléchir à ce qu’il vient de se passer.