Les mots de son père s’enfonceraient en lui, fermes et implacables. « Comme des dards de guêpe dans une peau galeuse. » Il l’avait lu quelque part. Robert prendrait conscience de la portée de son geste. Il s’en repentirait profondément, mais cela n’y changerait rien. Un regard sur son père suffirait : pour un acte pareil, le pardon était impossible. Seuls le silence et l’oubli couvriraient peu à peu les événements de leur nappe de brume.
Prétendre que la vacuité intérieure de sa vie d’adulte serait une conséquence directe de la vacuité extérieure de son enfance était le passe-temps favori des naufragés de l’âme. Il faut pourtant bien naître quelque part.
On pourrait refaire le monde en partageant une bouteille de vin.
Même dans le meilleur des mondes, il y a des ratés.
Un homme doit pouvoir se tenir droit et avancer la tête haute.
Alors qu’il avait emménagé dans son lugubre trois-pièces de la Baldersgatan, à Kymlinge, au cours d’une de ses nombreuses nuits d’insomnie, Dieu fit son apparition. Possible que Gunnar l’ait convoqué, que son âme martyrisée en ait fait une projection mentale pour faire répondre le Tout-Puissant de ses actes. Quoi qu’il en soit, ils eurent une conversation longue et enrichissante […] Les preuves de l’existence de Dieu étaient légion, mais souvent d’une teneur déplorable - là-dessus, Gunnar Barbarotti et le Seigneur étaient du même avis. […] Ce que Gunnar demandait - et Dieu le comprenait parfaitement -, c’était quelque chose de plus concret. Une méthode simple et rationnelle qui donnerait la réponse à cette question ontologique une fois pour toutes. Dieu fit remarquer que cela pouvait mettre un certain temps. Pas trop, quand même, objecta Gunnar, qui devait prendre en compte son espérance de vie limitée. Il aurait aimé apprendre la vérité avant d’avoir quitté ce monde. Toujours à l’écoute, Dieu accepta sans palabres cette dernière condition.
Une joie partagée est une demi-peine.
Perdre son téléphone ! Quel crétin ! Vivre sans, par les temps qui couraient, c’était comme d’être propulsé à l’âge de pierre, un vrai dinosaure. Condamné à l’extinction.
C’est à sa brièveté que l’on reconnaît le maître.
Quel bonheur de quitter ce pays d’incultes qui ne connaissaient même pas leur propre histoire… Un immense soulagement, à vrai dire.