Citations sur La cas Wagner - Nietzsche contre Wagner (12)
Et n’y revenons-nous pas, nous autres casse-cous de l’esprit qui avons gravi les cimes les plus élevées et les plus dangereuses de la pensée moderne, et qui, de là, avons regardé autour de nous, au-dessous de nous ? Ne sommes-nous pas, en cela aussi, — des Grecs ? Adorateurs des formes, des sons, des mots ? Par cela même — artistes ?…
n devrait avoir plus de respect de la pudeur, refuge de la nature qui se tient cachée derrière des énigmes et de multiples incertitudes. Peut-être la vérité est-elle femme, et a-t-elle des raisons pour ne pas laisser voir ses raisons ?… Peut-être son nom, pour parler grec, est-il Baubo ?… Ô ces Grecs ! ils s’y entendaient à vivre ! Pour cela il est nécessaire de s’arrêter vaillamment à la surface, au repli, à l’épiderme, d’adorer l’apparence, de croire aux formes aux sons, aux mots, à tout l’Olympe des apparences ! Ces Grecs étaient superficiels — par profondeur…
Solitaire désormais et me méfiant jalousement de moi-même, je pris alors, non sans colère, parti contre moi-même, et pour tout ce qui justement me faisait mal et m’était pénible : c’est ainsi que j’ai retrouvé le chemin de ce pessimisme intrépide qui est le contraire de toutes les hâbleries idéalistes, et aussi, comme il me semble, le chemin vers moi-même, — le chemin de ma tâche…
Car Parsifal est une œuvre de rancune, de vengeance, un attentat secret contre ce qui est la première condition de la vie, une mauvaise œuvre. — Prêcher la chasteté demeure une provocation à l’anti-naturel : je méprise tous ceux qui ne considèrent pas Parsifal comme un attentat contre la morale.
Parsifal est un sujet d’opérette par excellence. Le Parsifal de Wagner est-il le sourire caché du maître, ce sourire de supériorité qui se moque de lui-même, le triomphe de sa dernière, de sa suprême liberté d’artiste, de son au-delà d’artiste — est-ce Wagner qui sait rire de lui-même ?… On pourrait, je le répète encore, le souhaiter. Car que serait Parsifal pris au sérieux ?
Je ne parle pas de Henri Heine — l’adorable Heine, comme on dit à Paris, — qui a passé depuis longtemps dans la chair et le sang des lyriques parisiens les plus délicats et les plus précieux. Que ferait le bétail cornu allemand avec les délicatesses d’une pareille nature !
Maintenant encore la France est le refuge de la culture la plus intellectuelle et la plus raffinée qu’il y ait en Europe, elle reste la grande école du goût : mais il faut savoir la découvrir cette « France du goût ».
De même j’interprétai la musique de Wagner comme l’expression d’une puissance dionysienne de l’âme ; en elle je croyais surprendre le grondement souterrain d’une force primordiale comprimée depuis des siècles et qui enfin se fait jour, indifférente d’ailleurs en face de l’idée que tout ce qui s’appelle aujourd’hui culture pourrait être ébranlé. On voit ce que j’ai mal interprété, on voit également de quoi j’ai enrichi Wagner et Schopenhauer — de moi-même…
C’est seulement Mozart qui rendit l’époque de Louis XIV, l’art de Racine et de Claude Lorrain en or sonnant. C’est seulement dans la musique de Beethoven et de Rossini que se répercuta le xviiie siècle, ce siècle d’exaltation, d’idéal brisé et de bonheur fugitif. Toute musique vraie, toute musique originale est un chant du cygne.
Comment ? la première vertu de l'exécution serait-elle vraiment, comme les musiciens exécutants paraissent le croire de nos jours, d’atteindre, à tout prix, un haut-relief qui ne puisse plus être surpassé ? Cette théorie, appliquée par exemple à Mozart, n'est-elle pas un véritable péché contre l’esprit de Mozart, contre le génie gai, enthousiaste, tendre et amoureux de Mozart, qui, par bonheur, n’était pas allemand, et dont le sérieux était un sérieux bienveillant et doré et nullement le sérieux d’un bon bourgeois allemand… pour ne rien dire du sérieux du « convive pierre »…