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Critique de jazzman


Mon avis sur cette biographie que je viens juste d'achever est mitigé car elle est évidemment liée au personnage de IBS. Appréçiant ses oeuvres que je lis depuis longtemps, j'ai cédé à la curiosité de mieux le connaître en tant que personne… J'avais déjà lu quelques articles peu élogieux sur sa personnalité et la lecture du livre de Florence Noiville n'a fait hélas que les confirmer. Cette dernière dépeint très bien cet auteur peu agréable.
IBS est un personnage peu sympathique : en effet, il vit 10 ans à Varsovie avant de partir pour les USA, 10 ans au cours desquels il n'aura jamais rendu visite à ses parents ; il verra une fois son père venu à un rendez-vous médical mais pas sa mère à laquelle il n'écrira jamais de son exil new-yorkais. Il témoigne peu de reconnaissance à son frère Joshua qui l'a pourtant fait venir aux USA et s'est toujours soucié d'améliorer son bien-être. Il fait également la sourde oreille lorsque son neveu lui demande de venir rendre visite à sa soeur Esther dont la santé est préoccupante et ne donne pas un sou pour lui offrir une pierre tombale correcte. Mais le pire est son désintérêt pour son fils Israël Zamir qu'il a eu avec Runya. Il leur promet de leur envoyer de l'argent et de les faire venir en Amérique mais ne tiendra aucune de ses promesses. C'est avec distance qu'il accueille plus tard son fils chez lui, même si leurs relations s'améliorent avec le temps. Un manque évident d'empathie pour les humains ! de l'empathie pourtant pour les animaux qu'il refuse de manger car cela lui rappelle les Juifs menés à « l'abattoir «  pendant la Shoah.
Aucune reconnaissance non plus vis à vis de son traducteur Bellow qui a pourtant contribué à le faire connaître du public anglophone ! Peur que le public confonde le traducteur et l'auteur ? Quel orgueil ! IBS se traduit désormais lui-même et va jusqu'à refuser que l'on traduise ses oeuvres à partir du yiddish ! C'est donc à partir de l'anglais que Marie-Pierre Bay traduit la plupart de ses livres. Ici je m'interroge comme Florence Noiville : IBS pense t'il que la version anglaise épurée d'expressions yiddish anti- chrétiennes et d'allusions aux disputations talmudiques peut lui permettre un plus grand succès auprès des WASP ? L'anglais ne peut-il rendre une traduction fidèle de la yiddishkeit ? Isaac souhaite-t'il que son oeuvre en yiddish soit strictement réservée aux lecteurs yiddishophones ? Toutes ces pistes de réflexion sont plausibles et se valent . Florence Noiville souligne à juste titre qu'une traduction ne peut pas être fidèle à 100 %. À travers 2 langues, 2 visions du monde qui s'adressent à 2 mondes différents. Pourquoi pas ?
Florence Noiville met l'accent sur l'obsession de IBS pour l'écriture à tel point qu'il ne gagne que ce que ses feuilletons lui rapportent c'est à dire très peu les premières années. C'est donc sa femme Alma qui travaille pour rapporter un salaire. Comment ne pas penser aux Juifs ultraorthodoxes de son enfance qui passaient leurs journées à la yeshiva alors que leurs femmes restaient au foyer dans la plus grande précarité ou tentaient parfois de gagner un peu d'argent. Égoïsme ou reste de tradition ? IBS fait penser à Asa Heshel, personnage mou et rébarbatif, dans la famille Moskat. Comme Asa Heshel, IBS est peu fidèle à sa femme Alma qui a pourtant quitté son premier mari et ses 2 enfants pour lui. Isaac va même jusqu'à refuser de les rencontrer !
Par ailleurs, les qualités littéraires de Singer sont ici très bien rendues. Il a choisi de continuer à écrire en yiddish pour ne pas achever ce qu'Hitler avait commencé avec l'idée très riche que le peuple juif continue de vivre malgré la mort. Malgré la Shoah, Singer a pris le parti de ne pas idéaliser le yiddishland mais de peindre « la vraie vie . Ses personnages ne sont ps des héros mais des Monsieur et Madame Tout-le-monde. » Et c'est bien là ce qui fait le talent de Singer : à travers ses « tableaux » il entretient la mémoire d'un monde à jamais disparu et dégage des vérités universelles. C'est sans doute cela qui fait que certains de ses lecteurs ashkénazes ne l'apprécient guère.
Même si IBS vit une vie plutôt profane, c'est essentiellement dans un monde juif qu'il la vit aussi bien en Pologne qu'aux USA. Très peu de noms non juifs apparaissent dans cette biographie. Seules ses lectures commencées déjà en Pologne laissent une place aux « autres ».
La biographie de Florence Noiville est bien documentée et met l'accent sur des aspects fondamentaux du personnage de IBS. Cependant, j'aurais aimé en apprendre davantage sur ses 30 premières années passées en Pologne : en plus du heder, a-t'-il aussi fréquenté l'école polonaise, maîtrisait-il la langue polonaise, où a-t'-il si bien appris l'allemand au point de traduire Thomas Mann ? Est'il un jour retourné en Pologne ?
Je dirais que le livre de Florence Noiville rend parfaitement justice au talent de cet extraordinaire conteur yiddish que demeure Isaac Bashevis Singer tout en brossant un tableau apparemment fidèle de ce personnage par ailleurs peu intéressant. Je conclurais en citant le premier paragraphe du livre : «  Isaac Bashevis Singer détestait les biographies. Il disait que « lorsqu'on a grand faim, on se moque bien de la vie du boulanger ». Il était probablement sérieux lorsqu'il ajoutait que si Tolstoï, qu'il admirait pourtant profondément, avait habité la maison d'en face, il n'aurait même pas songé à traverser la rue pour lui rendre visite. C'est l'oeuvre qui compte, pas le bonhomme ». Entièrement d'accord avec vous Monsieur Singer !
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