Les lieux de mémoire me paraissaient trancher par leur existence même et leur poids d'évidence, les ambiguïtés que comportent à la fois la mémoire, la nation, et les rapports complexes qu'elles entretiennent. Objets, instruments ou institutions de la mémoire, c'étaient des précipités chimiques purs.
Ces lieux, il fallait les entendre à tous les sens du mot, du plus matériel et concret, comme les monuments aux morts et les Archives nationales, au plus abstrait et intellectuellement construit, comme la notion de lignage, de génération ou même de région et d'« homme-mémoire ». Du haut lieu à sacralité institutionnelle, Reims ou le Panthéon, à l'humble manuel de nos enfances républicaines. Depuis les chroniques de Saint-Denis au XIIIe siècle, jusqu'au « Trésor de la langue française » ; en passant par le Louvre, « La Marseillaise » et l'encyclopédie Larousse.
Toute la guerre a été, autant qu'une opération militaire et diplomatique, une opération de mémoire. Il s'agissait bien de laver la honte... de faire oublier la culpabilité générale de l'été 1940... de faire apprendre à un peuple d'attentistes, de prisonniers, de débrouillards, la leçon de son propre héroïsme.