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Critique de de


Productivisme industriel, destruction environnementale et masculinité

« Avec ce numéro, Nouvelles Questions Féministes souhaite explorer les relations entre modernité industrielle, destruction environnementale et patriarcat. Nous partons d'une analyse critique du terme « Anthropocène », lequel vise à rendre compte d'une nouvelle époque géologique dans laquelle serait entré le système Terre à cause de « l'humanité » (anthropos) ». Dans leur édito, Patriarcat, capitalisme et appropriation de la nature, Lucile Ruault, Ellen Hertz, Marlyse Debergh, Hélène Martin et Laurence Bachmann discutent du concept d'anthropocène, de la conception d'une humanité indifférenciée et de ses critiques, d'historicisation des dynamiques et des responsabilités, des termes et d'un grand absent : l'« androcène ».

« Ainsi, ce numéro mobilise la notion d'Androcène afin de rendre visible ce que le monde académique ainsi que de larges fractions du mouvement écologiste, tendent à ignorer : le genre de l'Anthropocène »

Les éditorialistes abordent, entre autres, les apports de l'écoféminisme, l'exploitation de la nature et l'exploitation des corps des femmes, la définition de la nature, « La définition dominante de la nature relève en effet du modèle dualiste qu'a produit la modernité occidentale », l'opposition nature/culture, la subversion nécessaire des dualismes.

« Les recherches de féministes et d'écoféministes ont montré depuis un certain temps déjà l'impact disproportionné des désastres et changements climatiques sur les femmes et d'autres catégories sociales dominées ». Les autrices soulignent les conséquences de l'oubli des rapports de pouvoir et des discours patriarcaux dans le « cadrage climatique », de l'invisibilisation de « la part active prise par les hommes dans ce problème au caractère systémique », de l'utilisation du terme « genre » comme équivalent à « femmes ».

« Décalant le regard de celles et ceux qui subissent l'altération des conditions environnementales, ce dossier thématique porte la focale sur les acteurs qui sont responsables de cette dégradation, sur ceux qui en ont le plus bénéficié – et qui continuent d'innover en la matière. Il s'agit d'explorer la centralité du patriarcat, ses modalités d'action et de pensée à l'oeuvre dans ce changement global ». Lucile Ruault, Ellen Hertz, Marlyse Debergh, Hélène Martin et Laurence Bachmann reviennent, entre autres, sur l'importance des rapports sociaux de sexe, les responsabilités historiques de certains groupes sociaux dans les événements destructeurs et le basculement climatique, les rapports de pouvoir, les racines et les causes à l'origine de l'anthropocène, les déclinaisons de la masculinité occidentale, les liens concrets « entre industries, organisation militaire et agriculture intensive », le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, « Dans ce numéro, en somme, nous nous attachons ainsi à déterminer ce qui unit, à l'aune du genre, les responsables de l'exploitation forcenée de la planète, au risque de la destruction de la possibilité de vivre ».

Elles abordent la destruction du vivant, les influences des rapports sociaux de sexe sur les connaissances scientifiques, l'imaginaire techniciste, des figures alternatives de faire science, les effets de la socialisation au masculin et les dividendes touchés par les hommes, l'analyse historique incarnée « du basculement dans une économie carbonée », le coût des injonctions virilistes, les processus de conscientisation et des pistes de changement…
Quelques éléments choisis subjectivement.

Jean-Baptiste Vuillerod discute de perspective écoféministe, d'inscription « de la question environnementale dans un cadre social et culturel plus large », de réappropriation du concept de nature « en cherchant à l'arracher aux stratégies idéologiques de naturalisation », de critique d'une approche « scientifico-technique » de l'Anthropocène, « l'usage massif des énergies fossiles depuis la révolution industrielle n'a pas été décidé et organisé par l'ensemble des êtres humains, ni n'a été réalisé en vue du bien-être du lus grand nombre », de causes et d'effets, d'exclusion des enjeux politiques et de survalorisation de solutions techniques, de conception de l'histoire des sociétés, des arguments naturalistes, de violence des idées. « une perspective écoféministe sur la question vise à mettre en cause l'ensemble des pratiques et des conceptions idéelles qui sont solidement ancrées dans notre culture ».

Benedikte Zitouni présente d'« autres figures et manières de faire science » dans et par les réalités étudiés »,d'autres figures du savoir. Donna Haraway, Isabelle Stengers, Vinciane Desprêt, « Il s'agira d'analyser comment ces trois auteures, qui se disent héritières de la Révolution scientifique, ont affronté la figure de l'autorité scientifique désengagée. L'analyse portera sur la façon dont elles s'en sont prises au caractère neutre, transparent et innocent du gentleman savant en créant des contre-figures du savoir ». L'autrice aborde notamment les mécanismes d'exclusion et d'autorité, les premiers laboratoires des sciences expérimentales, la figure du scientifique soi-disant neutre, l'invention des sciences modernes, « L'événement est là : la science moderne consiste en cette capacité à sélectionner les énoncés scientifiques vrais et ainsi à faire exister des entités dont la présence ne peut plus être niée. Elle est à la fois autoritaire et émancipatrice », les usages sociaux des sciences, l'entrée en laboratoire, les réalités réfractaires, les « emmerdeuses », l'arrivée des femmes dans le champ de la primatologie, le moule genré des méthodes, les possibles nouveaux en terme de savoir, « Tout terrain est digne d'intérêt pour autant qu'un potentiel passé, présent et futur s'y dessine, que ce soit au coeur du cas étudié ou dans les interstices »…

Bob Pease interroge les liens entre masculinisme et changement climatique et développe « une réponse environnementale proféministe ». L'auteur indique que « la réduction des risques de catastrophe doit s'atteler aux causes sociales et humaines du changement climatique ». Il aborde, entre autres, les impacts du changement climatique sur les populations les plus vulnérables, les conséquences différenciées en raison de la division sexuelle du travail ou des places socio-économiques, les formes hégémoniques de la masculinité (une notion que je trouve plus que discutable, comme celle d'« identité de genre »), la valorisation des approches « surplombantes » sans prise en compte des rapports sociaux…

« … je dialogue avec les recherches actuelles qui considèrent les expressions contemporaines de la masculinité en relation avec le changement climatique et les politiques énergétiques en explorant les concepts de masculinité écomoderne et de pétro-masculinité ». Miriam Tola aborde, entre autres, des aspects importants des imaginaires élitaires, le « verdissement » d'un sujet dominant, la théorisation d'absence de limites, l'exploitation minière, la mise en valeur des déchets, dles enclosures modernes, les acteurs privés financés par des fonds publics, le consumérisme vert et des contre-histoires féministes…

Armel Campagne propose des analyses des racines du « Patriarcat capitalocène », du genre de l'accumulation, du basculement dans l'économie carbonée, de la place des énergies fossiles, de l'offensive patriarcale des hommes des classes aristocratiques et bourgeoises, de l'histoire des mécanismes de dépossession des femmes anglaises.

« Dans la suite de cet article, il s'agira de tester l'hypothèse selon laquelle c'est en vertu d'un héritage structurellement inégalitaire en termes de genre et de classe d'âge qu'une minorité d'hommes des classes aristocratiques et bourgeoises anglaises ont pu être en possession, au moment du basculement fossile du capitalisme anglais, d'un capital suffisant soit pour moderniser les mines de charbon et accélérer leur transport (ferroviaire ou maritime), soit pour acquérir des machines à vapeur et des machines à filer et à tisser automatiques pour leurs industries textiles ». L'auteur analyse donc le système d'héritage, le « malheur » des héritières, les accords contractualisés entre pères, le mécanisme de primo-géniture agnatique, l'aggravation « moderne » de la dépossession des femmes et des veuves, l'accumulation primitive de moyens de production houiller, l'histoire genrée du capitalisme industriel, le rôle de l'inégale transmission, les dépossessions actives…

J'ai notamment apprécié l'article sur les voitures (de collection, de fonction, électriques), les rapports masculins à la mobilité et à l'« écologie », la place de l'automobile dans les imaginaires masculins « de mouvement, de liberté, de vitesse et de puissance », les déplacements dans l'espace public, le « Club », les normes tenues pour acquises, les espaces privilégiés de construction des homosocialités, l'exercice de la « liberté » de déplacement…

Je souligne aussi, sans m'y attarder deux autres articles, le premier sur les expériences et les point de vue de femmes autistes, le second sur Anna Maria Crispino dans un entretien réalisé par Silvia Ricci Lempen
Lien : https://entreleslignesentrel..
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