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Critique de Patsales


Mentir peut-il être justifié ? On sait qu'Emmanuel Kant n'était pas tendre avec ceux qui tentent de moraliser le mensonge. Eût-il vécu un siècle et demi plus tard, il dénonçait Anne Franck au S.S. qui lui aurait demandé si par hasard il n'y avait pas des Juifs cachés dans le coin. Car sans la certitude que nous pouvons nous fier à autrui, il n'est plus de société possible.
Le roman de Kristian Novak ne dit pas autre chose, qui raconte l'explosion de la Yougoslavie après des années de mensonges communistes, qui eux-mêmes prospérèrent sur des romans nationaux écrits par les vainqueurs avec l'assentiment de la religion. Ce simulacre d'état où les Serbes ne faisaient guère confiance aux Croates qui le leur rendaient bien ne pouvait que disparaître (ainsi que plusieurs milliers d'individus).
"Terre, mère noire" raconte aussi la séparation d'un couple qui suit le même modèle: récit mythique ("On s'aime, et on va faire ce qu'il faut pour garantir la pérennité de notre couple"), confiance brisée par le goût prononcé de l'un à enjoliver la réalité (il faut dire que monsieur est romancier), rupture, désolation (une victime collatérale de taille: l'inspiration de l'auteur maintenant célibataire est portée disparue).
Voilà, c'est plié: Manu avait raison (comme souvent): mentir c'est 1) mal 2) contreproductif.
Matija décide donc de comprendre comment il en est venu à prendre autant de liberté avec la vérité. Sauf qu'en fait les choses ne sont pas aussi simples Quand le père de Matija est mort, on ne lui a pas fait le coup du voyage lointain; on l'a emmené à l'enterrement; il a vu le cadavre dans le cercueil. Mais Matija est persuadé qu'il a tué son père parce qu'il l'a détesté un court instant. Et le voici contraint de trouver une solution pour racheter sa faute et ramener son père à la vie tout en s'empêchant de tuer tous ceux qui pourraient le contrarier - ce qui n'est pas une mince affaire dans un village où sévit une épidémie de suicides.
Dire la vérité ne résout donc rien. de même qu'un certain chat dans une boîte peut être à la fois mort et vivant, Matija aime et déteste son père, comme il veut tuer et sauver son meilleur ami. Dire la vérité, oui, mais laquelle?
Manu: 0, Sigmund: 1.
C'est en dressant le portrait acide de l'électricien Imbro que Novak parvient à s'approcher le plus de la distinction entre véracité et mensonge: « En règle générale, il avait une formule pour décrire chaque personne absente. Grâce à elle, il évoluait dans un monde où régnait toujours une asymétrie en sa faveur. Ceux qui étaient un peu plus grands que lui se voyaient qualifiés de Grande perche, les un peu plus minces de Sac d'os, et les un peu plus dodus de Gros tas. Il se présentait comme l'étalon humain idéal, et nul ne semblait le contester. » Finalement, dire vrai a moins à voir avec la réalité qu'avec le malaise: Imbro n'est pas l'étalon de l'humanité et le père de Matija est bien mort. Une vérité qui m'arrange n'en est pas une.
Et puisque Kristian Novak n'est pas mon cousin, débarrassée de tout conflit d'intérêt compromettant, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce roman intrigant, hilarant et tragique, à mi-chemin de Stephen King et de Erin Brockovich.
« Il était éteint de l'intérieur, dans un état de déliquescence constant, comme si toute sa vie il avait été mort mais ne s'était pas enterré par politesse. »
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