Citations sur Le rock aux trousses (20)
PROLOGUE
Quand t’es paumé à Juárez sous la pluie le jour de Pâques
When you’re lost in the rain in Juárez and It's Easter time too*
Lundi 12 juillet 1971
Cinq ans déjà ! Voilà cinq ans, le lycée Alain Fournier quittait les ruelles pavées de la vieille ville, la tour des Échevins et sinstallait dans les quartiers nord. Des cages à lapins montées à la va-vite pour les nouveaux Berruyers. Fonctionnaires et militaires mutés au petit bonheur, paysans
jetés en ville, rapatriés d'Algérie, harkis, Polonais, Espagnols et Italiens, Africains du nord.
Pour moi, Danny Lopez, fini de zoner dans le bus de 7 heures du matin pour être à l'heure devant la porte du bahut et pointer au premier cours de la journée.
Quelque part à l’académie, un mec a décidé de fourguer les trajets matinaux en bus aux gosses de riches. D'après moi un dingue ou un ancien zonard. Nous, on s’était pas pris la tête à essayer de piger. « On n’allait pas cracher dessus ! »
Cinq ans, ça passe vite, la preuve ! J’étais là devant les grilles du bahut à poireauter en attendant les résultats de l’oral de rattrapage du bac. Ce bout de papier allait me dire :
« C'est gagné, va te faire voir ailleurs ! »
« C'est perdu, tu vas repiquer pour un an ! »
Les recalés sont dans leurs petits souliers.
1 Chanson de Bob Dylan – Just Like Tom Thumb’s Blues – album
Highway 61 Revisited – 1966
[…] il ne se satisfera jamais d'un système inique excluant les déviants, fussent-ils des rejetons de la classe dominante.
(p. 106)
Un riff de guitare venu de loin occupe l'espace s'élargissant jusqu'à combler le moindre interstice. Il tourne sur lui-même comme un mantra.
(pp. 29-30)
Éléonore avait grandi dans cet esprit de révolte et de rébellion. Son esprit critique encouragé par l’éducation de ses parents, sa mère était également institutrice, s’affirma tout au long de sa scolarité au grand désespoir de certains de ses enseignants, tandis que d’autres s’émerveillaient de sa maturité et d’un sens de l’à-propos dévastateur.
(p. 33)
Kick out the jam des MC5 : Est-ce que vous allez être les problèmes ou devenir les solutions, il est temps de vous sortir de la merde. Rock fusionnel. Violence et métaphysique. À écouter à fond ! Sun Ra le magicien incontrôlable intervient à sa guise.
Régine s’est levée, elle sort un album photos d’un tiroir. Elle en extrait le cliché d’une jeune fille élancée portant un jean très haut sur la taille donnant à ses jambes une longueur stupéfiante. Elle regardait l’objectif avec ces yeux dont on ne saura jamais s’ils expriment de l’ironie ou de la complicité.
Le genre, « tu ne sais pas sur quoi tu vas tomber ! »
Son visage angélique, son petit nez et ses taches de rousseur lui donnaient un air de premier communiant sous sa coiffure flamboyante rouge, mais n’effaçaient pas son côté voyou et sensuel. Je comprenais pourquoi Ziggy.
Satisfaite de son travail, Bouthéon commence à renseigner les fiches fournies par Sabayon portant les mentions TD1, TD2 et TD3, en y reportant les noms correspondant à ses savants dosages.
Sur son électrophone, le 33 tours Clouds de Joni Mitchell tourne, la chanson Both Sides Now la distrait de son travail :
« À présent je regarde les nuages de deux façons, d’en haut et d’en bas. Et, cependant, c’est l’illusion des nuages que je retiens…à dire vrai, les nuages je ne les connais pas du tout… »
Avant d’aller au lit, elle s’autorise un verre de Bourbon sans glace et la lecture de l’Homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse.
Le sommeil la surprend sur la phrase « Le fait de pouvoir élire librement des maîtres ne supprime ni les maîtres ni les esclaves. »
Raoul Aymé-Chautard avait tout pour séduire Éléonore. Le haut fonctionnaire du ministère de l’Éducation se situait dans le droit fil du discours de Georges Pompidou, alors Premier ministre, le 12 janvier 1967 à Reims.
Ce social-démocrate, proche de Jacques Chaban-Delmas, avait vibré au « De nos jours, non seulement nous avons la volonté d’élever le niveau intellectuel et la formation de nos jeunes gens et de nos jeunes filles, mais nous avons la volonté, sur cette formation, de construire une prospérité économique, une prospérité scientifique, industrielle, de façon à faire de la France un pays véritablement moderne. »
La toute récente cité universitaire de Bourges accueille les étudiants de l’IUT aux confins nord-ouest de la ville.
Au-delà se trouve un champ de cerisiers sauvages sur lequel une vieille carcasse de bus a été abandonnée. Un modèle U 23 utilisé par la compagnie des Transports Citroën, fabriqué entre 1935 et 1969.
Plus loin, sur la plaine alluviale du Moulon, cet affluent capricieux de l’Yèvre, des prés à l’herbe grasse servent d’aire de jeux aux enfants du nouveau quartier de la Chancellerie.
François Magne, le professeur de techniques de l’expression écrite et orale — TEEO dans la terminologie de l’établissement —, est un communiste assumé noyé dans un océan de thuriféraires non moins assumés du management, de contempteurs de l’interventionnisme d’État et de laudateurs de l’entreprise privée.
« Privée de tout… » selon Magne
Il est en service commandé.
« Cultiver les futurs cadres livrés au marché du travail. »
Il ajoute, un sourire ravageur aux lèvres, « les doter d’un sens critique et de capacités de recul toujours utiles dans un monde traversé par la lutte des classes ».
« Mettre du plomb dans la tête de jeunes qui vont se retrouver plongés dans la fournaise des rapports sociaux sans disposer de vêtements ignifugés », provoque-t-il, en accentuant sa diction, son port de tête en jouant de son faux air à la Louis Jouvet.