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Critique de florigny


Grâce à un impur hasard, j'ai commencé la lecture de Au lac des bois comme je terminais de regarder sur Arte les 9 volets de la plus passionnante, complète et pédagogique fresque documentaire jamais réalisée sur la guerre du Vietnam, due à Kenn Burns et Lynn Novick, dans laquelle Tim O'Brien intervient pour témoigner sur des images d'archives où on le voit, lui et tous ses frères d'armes au combat.


Dans le roman, John Wade, après son retour du bourbier, un homme en ruines ayant perdu le contact avec une partie déterminante de lui-même, absent, ni là ni ailleurs, s'engage en politique après avoir achevé ses études d'avocat. Il est élu sénateur du Minnesota pour ne pas ressembler à de nombreux vétérans clochardisés qui dorment sous les ponts, méprisés par leurs compatriotes, oubliés du pouvoir, gommés de l'Histoire. Mais lors de sa réélection, il est balayé par l'opinion publique sous le choc de la révélation du massacre de My Lay perpétré par la Compagnie Charlie, le 16 mars 1968, au cours duquel entre 200 à 500 civils selon les sources, vieillards, femmes, enfants, bébés, ont été égorgés, sodomisés, violés, éventrés, énucléés, scalpés, abattus comme les chiens, veaux, vaches, poulets de la pauvre communauté... Or John Wade/Tim O'Brien, dans la vie comme dans le roman était là, témoin des exactions. Voilà sa réputation politique flinguée, sa carrière foutue. Avec sa femme Kathy, avec qui il a cru pouvoir construire un bonheur post-traumatique, il se réfugie au bord du Lac des Bois. Mais un matin, Kathy disparaît, le bateau n'est plus amarré au ponton...


Il s'agit d'un roman d'une puissance exceptionnelle, dans lequel la part de fiction rend la réalité de la guerre plus grave, horrible, lui donne une netteté saillante, vivante. En alternance, John Wade parle de son enfance, il voulait être magicien, prestidigitateur ; il évoque sa vie sentimentale ; il incruste des citations d'écrivains ; des extraits authentiques de dépositions faites en cour martiale, qui après des bruits d'enquête, des blagues inquiètes et des rires forcés n'a retenu comme seul coupable du massacre, que William Calley, condamné à trois ans d'assignation à résidence.


Qu'est-il arrivé à Kathy ? Que s'est-il passé ? Qui le saura jamais ? En tout cas, comme prévient l'auteur, si l'on veut connaître la vérité, il faut lire un autre roman. Ici, plusieurs hypothèses sont émises par un homme en pleine confusion mentale et délitement moral, une âme perdue, brouillée avec la réalité du monde. Il porte des fardeaux, se mure dans le silence, cache une histoire démoniaque aux autres et à lui-même, escamote, verrouille et truque sa vie. Il cherche l'oubli ou trahit le présent à chaque bouffée d'air tirée de la bulle d'un passé pourri. N'est-il plus qu'un esprit serpentant à travers le dernier mécanisme d'une dernière illusion magistrale pour s'auto-persuader que cela n'a pas existé, comme un magicien fin manipulateur sait tromper son public. Et si la vérité était inaccessible ? Et si tous les secrets ne menaient qu'à l'obscurité, et si au-delà de l'obscurité, il n'y avait que des peut-être ? L'épilogue est d'une beauté à couper le souffle.
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