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Critique de kuroineko


La fille tatouée de Joyce Carol Oates est resté un long moment sans être réédité. J'attendais donc sa "reparution" chez Point-Seuil.

Voilà un roman déroutant, comme souvent avec elle. Il aborde à la fois des aspects sociologiques, mémoriels, économiques, intellectuels, etc.
Seigl est un éminent traducteur et essayiste spécialiste de la poésie latine. Il a aussi rédigé plus jeune un roman basé sur la tragédie de ses grands-parents déportés et morts à Dachau. Âgé de 38 ans, il réside dans la vaste demeure familiale située dans le quartier cossu de la ville. Solitaire voire reclus dans sa tour d'ivoire, il décide pourtant de prendre un assistant pour l'aider dans son secrétariat, le tri de ses nombreux manuscrits entassés au fil des ans et autres menus services.
Après divers entretiens avec de fringants doctorants, son choix se porte sur Alma, nouvelle venue en ville, sous la coupe d'un jeune homme rien moins que louche. Elle n'est ni étudiante, ni cultivée; sa façon d'être et de s'habiller pourrait se résumer par une certaine vulgarité.

Joyce Carol Oates construit autour de ses deux personnages si diamétralement opposés une sorte de huis-clos inconfortable dont on peine à voir l'issue. Lui est né aisé, elle est issue d'un coin où les fermetures de mines apportèrent chômage et misère aussi bien économique que morale. Il est un intellectuel, elle a terminé tant bien que mal le secondaire. Il est homme plaisant aux femmes, elle a toujours servi d'objet voire de défouloir sexuel à de trop nombreux hommes. La liste pourrait s'étendre longtemps.

Seigl voit en elle quelque chose qu'il semble être le seul à voir, la possibilité d'un perfectionnement, d'une rédemption. Alma, avec ses tatouages qu'on lui a imposé comme autant de stigmates de sa vie rabaissée et humiliée, voue à son généreux une haine profonde. Haine sociale et, plus intense encore, haine du Juif, fondée sur les préjugés ancrés dans sa famille et qu'elle a avalé avec son pain quotidien, sans remise en cause.

Le roman est d'un style peaufiné et à la narration maîtrisée, comme d'habitude chez Mme Oates. J'y ai ressenti une tension croissante et le malaise qui imprègne les relations entre les personnages est perceptible. Il y a de la violence dans ces pages, les pensées haineuses d'Alma étant crachées comme un venin. Ça n'est pourtant pas une personnalité qu'on appréhende d'un bloc, en dépit de ce que l'intrigue apporte d'éléments. le résultat final est beaucoup plus nuancé et, peut-être d'autant plus dérangeant. de même pour Seigl qui évolue le temps du récit.
Sans compter les actions et influences des autres protagonistes de cette quasi tragédie antique, comme par exemple la soeur névrosée et acharnée de Seigl.

Un texte fort à nouveau, placé dans le Nord-est américain au début des années 2000. Joyce Carol Oates distille son histoire en mesurant savamment les doses. La fille tatouée n'est certes pas mon ouvrage préféré de cette auteure, et n'a pas forcément la même puissance que Les Chutes ou Nous étions les Mulvaney (pas le même format non plus), mais il m'a procuré un intense moment de lecture.
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