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Critique de kuroineko


Quartier de Red Rock, ville de Pascayne, État du New Jersey, automne 1987, une femme afro-américaine court dans la rue demandant à chaque passant s'il n'a pas vu sa fille, qui a disparu depuis plusieurs jours. Cette mère, c'est Ednetta. Sa fille, Sybilla, sera retrouvée violemment meurtrie, couverte d'excréments et d'injures racistes. Elle accuse quatre policiers blancs de l'avoir tabassée et violée.

Si le quartier comme la ville sortent tout droit de l'imagination de Joyce Carol Oates, le fait divers, lui, est véridique et défraya la chronique, tout en déchaînant de violentes passions. Car le sort subi par Sybilla enflamme un quartier déjà ostracisé, marqué par la misère et la délinquance. Ednetta se place en tête de cette croisade au nom de sa fille et, plus généralement, au nom des Noirs victimes des brutalités de toutes sortes de la part des Blancs.

La question des Noirs aux États-Unis est un thème récurrent dans l'oeuvre de l'auteure. Dans Eux, elle retrace d'ailleurs les émeutes qui soulevèrent Detroit en 1967, ville où elle a enseigné durant la fin des années 1960.
Avec Sacrifice, elle déplace le débat sur un autre angle. Celui de la vérité et de ses altérations. Car que s'est-il réellement passé dans le lieu sordide où fut retrouvée Sybilla? Et pourquoi refuse-t-elle les examens médicaux de base lorsqu'elle est transportée à l'hôpital?

Sacrifice est un roman dont la lecture se révèle extrêmement dérangeante. Avec son sens de l'observation d'une acuité exceptionnelle, Joyce Carol Oates pointe les dysfonctionnements d'une société mise à mal socialement, économiquement et toujours profondément marquée par un racisme latent. Ses descriptions de Pascayne, et de Red Rock plus particulièrement, mettent mal à l'aise par la chape de grisaille et de désespérance qui semble l'écraser. On trouverait une pancarte "No Future" à l'entrée qu'on n'en serait pas surpris.

A la question du racisme et de la croisade entamée pour rendre justice à Sybilla s'ajoute la réappropriation du sujet par les courants religieux chrétiens puis musulmans du quartier. Les faits embrouillés, les contradictions dans les déclarations de la jeune fille, tout disparaît derrière un voile politico-religio-idéologique qui se soucie plus de démonstrations ostentatoires que de vérité.

Une fois de plus, Joyce Carol Oates frappe fort et frappe juste sur un sujet des plus sensibles. Les portraits qu'elle dresse d'Ednetta et de sa fille comportent les mêmes ambiguïtés que la "Croisade de la justice". L'ensemble est donc très perturbant. Mais elle n'est pas là pour nous raconter de jolies bluettes idéales. Son acuité incisive passe au scalpel l'Amérique contemporaine et rien ne semble échapper à son regard et à sa réflexion.
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