Citations sur Une chose sérieuse (76)
Les capacités rédactionnelles dont je suis censé disposer servent à imiter des livres qui ont bien marché. Je dois faire en sorte que les gens reconnaissent, de manière à ce qu’ils soient reconnaissants. Il faut que ce soit doux à leur âme comme le Nutella. J’ai obtenu le poste, on se demande comment. Il me revient souvent un rêve atroce que j’ai fait il y a longtemps. Je n’ai jamais pu m’ôter cet affreux rêve de l’esprit. Il a pris place dans ma vie comme s’il était réel. C’est le cas de beaucoup de gens, la plupart du temps j’oublie mes rêves dans les heures qui suivent le réveil. Alors là, je vivais la situation suivante : on me coupait les deux bras avec une tronçonneuse. Je souffrais certes mais moins au moment où on me les ôtait qu’après, quand je prenais conscience que je ne les aurais plus jamais, ces bras. Analyser pourquoi j’associe ce rêve à ma réalité actuelle serait peut-être intéressant, surtout pour moi. On ne va pas s’engager là-dedans.
Mon attirance physique, c’est avant tout un dégoût de la procréation, une réticence viscérale à fonder et entretenir une famille. Ah, non, ce n’est pas pour ça que je suis venu au monde. Quand je le quitterai, il n’y aura rien et personne derrière moi.
Comment veux-tu que j’écrive comme il faut avec ce genre de partenaires. D’une part, Chambray qui est maligne, salace, je sais que ce sont des termes négatifs qu’il vaudrait mieux remplacer par des mots plus suaves, mais je me coltine toute la semaine des diktats lexicaux, de la syntaxe fliquée, je te dis que d’un côté il y a Chambray et ses mains glissantes, toujours à essayer de m’attraper par la queue et, d’autre part, il y a Jenny qui est tout à fait l’inverse, fuyante. Extrêmement belle, pourtant elle incline son visage vers le sol. Son point de vue est probablement celui des mammifères.
En général, je voyage sans billet, je lui ai dit au contrôleur pour expliquer mon incapacité à effectuer le compostage. Il vaut mieux passer pour un resquilleur que de dévoiler mes faiblesses. Oh, tu le sais bien, la posture révèle un manque de courage. Je voyageais, c’est vrai, sans billet, soit parce que je n’ai pas de quoi le payer, soit parce que je rechigne à ces démarches-là aussi. Quand on m’arrête, je prétends ne pas avoir mes papiers d’identité et je donne l’adresse de mon père. Qui est mort. Donc le courrier retourne à l’envoyeur.
On me dit d’aller jeter des pierres en marchant à reculons. Je lance mes cailloux. Il m’est demandé de me couvrir la tête, je ne discute pas, j’ôte ma chemise et la noue autour de ma tête. Les pierres je dois les enterrer. Et, enfouies, elles perdent leur dureté. Elles s’amollissent peu à peu
Mais la catastrophe, elle n’est pas devant nous, tu sais. On y est. Et c’est nous autres, la catastrophe. Ce qu’on est devenus, ce qu’on a laissé faire, par peur du lendemain et par vanité, pour être les derniers, les plus forts, les survivants
Puisque la révolution, ça ne marche plus, on a renoncé, la perspective à présent c’est la catastrophe
Chambray nous bassine avec la catastrophe, à laquelle il faudrait se préparer. Sans jamais rien dire de précis. Moi, ce que j’ai compris, c’est que la catastrophe ne sera causée ni par la collision de la Terre avec un astre mystérieux, ni par un bouleversement climatique, ni même par la pollution, les pluies acides, le trou d’ozone ou la couche atomique. Ce n’est pas la guerre atomique qui fera disparaître les civilisations humaines mais les machines, les humains-machines. Autrement dit, nous sommes précisément la catastrophe, nous autres, sujets de Chambray […]. Ça a commencé de façon imperceptible. Quoi donc ? Le nouvel humain. Et ça a même commencé depuis pas mal d’années. Mollement.
Le cheveu est une conversion du poil. Cheveu qui, d’après ce que j’entends ici, ne sera pas affecté par les métamorphoses à venir. Le cheveu sera conservé à l’identique
La technologie ne m’a pas rendu meilleur ni plus performant, elle m’a rendu efficace. C’est-à-dire qu’on n’a plus affaire à ma rêverie. Du temps où j’officiais dans le parking, qu’est-ce que je faisais d’autre. Tout dans mon esprit, pourtant sombre à certains moments, tout allait marchait vivait. Ici, c’est principalement le dimanche que l’on peut jouir de mon humeur. Je raconte des histoires. André n’en est pas amateur. Il appelle ça des histoires à dormir debout.