«
le Musée Des Valeurs Sentimentales » de
Gaëlle Obiégly (2011, Verticales, 219 p.) est un objet spécial dans la liste des livres de cette auteur. Tout d'abord, il est daté de 2011, plus précisément « Achevé d'imprimé. A Clamecy le 2 décembre 2010 », avec « un dépôt légal en décembre 2010 ». Jusque -là, il n'y a rien à dire. Sauf que le livre commence par un incipit qui date les évènements qui vont suivre du « 10 aout 2012 » lorsque « s'ouvre une exposition rétrospective de l'artiste
Pierre Weiss ».
En 2004, elle rencontre l'artiste autrichien
Pierre Weiss avec qui ils fondent WO et entreprennent des travaux littéraires et plastiques . Elle est actrice de la plupart des films de
Pierre Weiss dont « L'événement qui possède l'homme » et « Dont la réalité s'impose » pour lequel Gaëlle écrit le script et qui est en fait une comédie musicale, avec un fond de musique joué par un guitariste. Dans « Quel jugement devrais-je craindre ? » deux personnes mettent en scène deux manières d'habiter l'espace de l'appartement. On retrouve les personnages dans «
Une chose sérieuse », de
Gaëlle Obiégly, (2019, Verticales, 192 p.) avec en supplément une certaine Donatienne Chambray, et des exercices dominateurs de tendances douteuses.
En 2014-2015, elle est pensionnaire à la Villa Médicis, là où elle situe l'irruption de la voix intérieure de «
Totalement inconnu » (2022, Editions
Christian Bourgois, 240 p.), voix qui lui guide sa conduite. Entre, il y a donc eu une douzaine de livres aux
Editions De l'Arpenteur, puis Verticales, et enfin
Christian Bourgois.
Diverses formes d'écriture attirent le regard et intriguent. le premier est la forme générale du texte. le dernier mot d'une phrase sert d'introduction à la suivante, ici en gras. « Des couteaux, d'autres instruments de guerre s'entassent dans une armoire en fer et des fl èches sont plantées dans des coussins de velours ocre dont la couleur est éteinte par la poussière. de la poussière peut-être cette saleté blanche qui couvre la wieille personne, ou bien du givre. du givre, tiens, alors elle serait là depuis pas mal, elle aurait survécu – oubliée ? / L'oubli a épargné ses avant-bras qu'elle sent vifs sous les habits sales. Cette saleté blanche observée par ses yeux qui fuient la lanterne éblouissante, la wieille personne ne sait ni quand ni comment ça s'est produit ».
La seconde anomalie est ici soulignée par la « wieille ». Pourquoi cette graphie si ce n'st pour souligner qu'elle est deux fois vieille. Ou alors il y a t'il un rapport avec sa nomination en tant que « Bild und Porzellan » que l'on pourrait assimiler à ces tableaux en porcelaine, mais qui dans ce cas se traduisent par « Porzellanbild ». Images un peu désuètes de tableaux reproduits en faïence ou porcelaine, qui fait plus chic.
Ensuite, il y a ce titre «
le musée des valeurs sentimentales » imprimé en majuscules sur trois lignes. C'est joli, cela fait marche d'escalier. Ayant constaté la contrainte d'écriture imposée par la reprise du dernier mot dans le début de la phrase suivante, on pense à une contrainte oulipienne. Dès lors, le découpage du titre en trois segments fait apparaître une progression régulière de lettres dans les mots du titre. Est-ce une autre contrainte d'écriture.
Bref, un début de roman qui annonce un mode d'écriture encore différent des ouvrages précédents. Ayant l'habitude de lire certains livres en prenant divers ouvrages du même auteur, comme récemment
César Aira ou, pire encore, les quelques 6000 pages des colossales « Oeuvres complètes » de Roberto Bolaño, je me fais la réflexion suivante. Pour Bolaño, quoique l'on pense des deux derniers tomes que sont « Les Détectives Sauvages » et « 2066 », je suis désolé, mais c'est tout de même assez répétitif. Bon, pour faire chic, on appelle cela l'intertextualité. Pour
César Aira, c'est le mode d'écriture qui reste le même. On part d'un titre, il débute une histoire, et très vite l'auteur emmène le lecteur autre part par de nombreuses digressions. Il est vrai que c'est très déroutant, mais on sy fait, et cela ne choque plus. Pour ce qui est des ouvrages de
Gaëlle Obiégly, il faut reconnaître que chaque livre possède une écriture en soi. Et ceci depuis le tout premier « Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique » (2000, Gallimard L'Arpenteur, 132 p.). Puis un roman très autobiographique « Gens de la Beauce » (2003, Gallimard L'Arpenteur, 208 p.) et à l'inclassable accumulation de vignettes « La
Faune » (2005, Gallimard L'Arpenteur, 208 p.) ou à la science-fiction à la mode des « 120 journées de Sodome » dans «
Une chose sérieuse », (2019, Verticales, 192 p.) et au «
Totalement inconnu » (2022, Editions
Christian Bourgois, 240 p.). Enfin sur ses articles dans les revues littéraires sur la littérature épistolaire, comme les remarquables analyses qu'elle a faites sur le peintre breton Mathurin Méheut (1882-1958), à la suite de l'ouverture de son nouveau musée à Lamballe, dans les Côtes d'Armor, et de son exposition temporaire au musée des Beaux-Arts de Pont-Aven, Finistère. Et donc de la sortie de « Lettres de Mathurin Méheut à
Yvonne Jean-Haffen » (2018, Éditions Ouest France, 160 p.) et de leur critique par
Gaëlle Obiégly. de la créativité et de l'inventivité, toujours d'un très bon niveau.
Donc, dans «
le Musée Des Valeurs Sentimentales », l'action pourrait être secondaire. On est au château « le Luxe » à un diner donné en l'honneur du sculpteur
Pierre Weiss. Mais ce dernier n'est pas là, il a loupé la navette qui devait l'amener. Ce qui provoque une série d'accidents en chaîne, avant d'aboutir à une catastrophe générale. Il y aura cinq tableaux successifs pour cela.
Le nombre de personnage est impressionnant dans ce roman. Il faut dire que c'est lors d'une exposition rétrospective. Il y a donc Brunon Tixe qui découvre Bild und Porzellan dans un souterrain. Antoine Tixe, avec sa compagne Edith Joseph, « la grande femme blonde » et son mari, mais il est mort. C'est assez compliqué à démêler car les invités peuvent être déguisés en domestiques, et les domestique en invités. Dans le second tableau, il y aura le vieux Sébastien, édenté, et son chien Clebs qu'il a sauvé jadis d'un piège a renards, et qu'il considère maintenant comme son fils. Et encore plus loin, on verra Constantin Krabinski, le petit frère de Serge Krabinski, alias le général. Mais « le sang des Krabinski est comparable à celui des autres ». Il y aura aussi un Thadée Krabinski qui joue du piano et « qui sera le premier de la bande à déguerpir, à ramper vers les buissons autour du lac ». Et que « l'amour d'Edith a rejoint » Silvia « qui nage au milieu du lac ». Il faut dire que « la température du lac est de 37 degrés environ, les femmes nues qui s'y baignent n'hésitent pas longtemps avant de s'immerger, elles y entrent sans se mouiller au préalable ni la langue ni la nuque ».
Le domaine du Luxe, tout comme la terre, « possède presque autant de pièces souterraines que de pièces au-dessus du sol ».de même que « L'histoire comporte autant de jours que de nuits ».
Gaëlle Obiégly écrit et parle seule, répète les mots et les paroles de son roman mais cela n'est pas plus fou qu'un rêveur ou que tout créateur qui espère simplement créer une oeuvre « qui suscitera d'autres oeuvres ». C'est donc sous terre que la wieille personne retrouve l'homme qu'elle aime.