«
Une chose sérieuse » est un nouveau roman de
Gaëlle Obiégly (2019, Verticales, 192 p.). Il change des précédents, qui étaient essentiellement d'inspiration autobiographique. Celui-ci est plutôt de tendance science-fiction, obédience sadienne.
Adolescente, elle était « la fille la plus silencieuse du lycée ». Née en 1971, Aujourd'hui, cette femme secrète et obstinée confirme dans son quatrième livre, «
Faune » une parole authentique et sans concession. En effet, depuis l'âge de 15 ans,
Gaëlle Obiégly écrit « sans rien montrer à personne ». le premier texte qu'elle a envoyé à un éditeur, en 1999, a aussitôt été accepté par Gallimard, dans la collection « L'Arpenteur » avec un très long titre « Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique » (2000, Gallimard L'Arpenteur, 132 p.). La première phrase est assez accrocheuse. « Je suis partie un dimanche après-midi pour Saint-Pétersbourg voir mon père sur son lit de mort. Devant la porte du crématorium j'ai renoncé ». Un grand-père paternel venu de Pologne, une famille maternelle venue de l'« Ouest granitique », en fait des environs de Chartres. le tout est évoqué dans «
Gens de Beauce » (2003, Gallimard L'Arpenteur, 208 p.) qui nous introduit et entraine dans sa région natale. Entre-temps, un autre livre, violent comme une venue au monde et à la parole, intitulé « le Vingt et Un Août » (2001, Gallimard L'Arpenteur, 180 p.), le jour de sa naissance. La narratrice se souvient d'avoir commencé à mentir vers quinze ans, alors que sa famille l'a placé en internat. Elle décide de tout avouer et elle parle.
Dans «
Une chose sérieuse », le narrateur est un homme, Daniel qui vit alors dans une communauté survivaliste qui se prépare à la fin du monde. Ils attendent donc la catastrophe, pour l'instant de nature indéterminée. Ces fantasmes autorisent tous les dérapages, y compris les plus sadiques. Daniel écrit donc le journal de cette expérience qui se penche et élucubre sur les façons de parer aux angoisses technologiques, industrielles, mais aussi climatiques. Il s'interroge aussi sur la mémoire et la transmission dans une vie et sans horizon, « vu que, bientôt, il n'y aura plus rien ».
« Je crois qu'une pause me serait bénéfique. Et comme on est dimanche, je me l'octroie. Demain, Je reprendrai mon labeur ». Voilà un roman qui commence bien. Par une pause du narrateur. Peut-être va-t-il se taire. Il écrit « un livre à la place de quelqu'un. Quelqu'un qui a une vie bien remplie ».
Cette personne c'est Donatienne Chambray, une femme, qui pousse les gens « à faire de ces trucs, tout ça dans le but de nous voir survivre à la catastrophe qu'elle a en tête. Bref une fois par semaine, nous sommes mis à l'épreuve d'une façon qui m'indispose particulièrement. On ne nous file rien à bouffer pendant vingt-quatre heures et on doit faire des entrainements physiques qui augmentent notre faim ». Il aurait pu se méfier, au vu du prénom de la charmante dame, et se souvenir de celui du divin marquis.
Il est astreint du lundi au samedi. Pas le dimanche, on l'a vu, qui est son jour de pause. Pour « raconter une vie qui n'est pas la mienne comme si je l'avais en moi, cette vie ». On lui a implanté une puce électronique, qui est activée ou désactivée pour lui donner des instructions et organiser son récit. Les changements « que je constate depuis que j'ai l'implant. Je suis moins passif que dans le passé » Tu m'étonnes. « Pour l'heure, je suis un passif actif, plein d'intérêt pour les actions ». A ne pas confondre avec un actif passif, plein d'intérêt pour ne rien faire. Un exemple de sa passivité active. « On me dit d'aller jeter des pierres en marchant à reculons. Je lance mes cailloux. Il m'est demandé de me couvrir la tête, je ne discute pas, j'ôte ma chemise et la noue autour de ma tête. Les pierres je dois les enterrer. Et, enfouies, elles perdent leur dureté. Elles s'amollissent peu à peu ». Par contre, il n'y a pas d'exemple de son activité passive, si ce n'est de ne rien faire, comme c'est expliqué pour les dimanches en début de roman.
Le tout avant la catastrophe, qui est prédite, mais pas datée. Il faut bien trouver un prétexte. « Puisque la révolution, ça ne marche plus, on a renoncé, la perspective à présent c'est la catastrophe ». Ceci dit, on ne sait pas trop en quoi elle consiste. « Mais la catastrophe, elle n'est pas devant nous, tu sais. On y est. Et c'est nous autres, la catastrophe. Ce qu'on est devenus, ce qu'on a laissé faire, par peur du lendemain et par vanité, pour être les derniers, les plus forts, les survivants ».
D'où la mouvance survivaliste. Et s'il n'en reste qu'un ou quelques-uns, Chambray en sera. « Chambray nous bassine avec la catastrophe, à laquelle il faudrait se préparer. Sans jamais rien dire de précis. Moi, ce que j'ai compris, c'est que la catastrophe ne sera causée ni par la collision de la Terre avec un astre mystérieux, ni par un bouleversement climatique, ni même par la pollution, les pluies acides, le trou d'ozone ou la couche atomique. Ce n'est pas la guerre atomique qui fera disparaître les civilisations humaines mais les machines, les humains-machines. Autrement dit, nous sommes précisément la catastrophe, nous autres, sujets de Chambray […]. Ça a commencé de façon imperceptible. Quoi donc ? le nouvel humain. Et ça a même commencé depuis pas mal d'années. Mollement. » Par contre, elle parait proche, du moins dans la tête de Chambray. « Cette catastrophe qu'elle nous annonce est déjà là. Ça a commencé de façon imperceptible. Quoi donc ? Ben, le nouvel humain. Et ça a même déjà commencé depuis pas mal d'années. »
En arrive t'on enfin à la catastrophe ? On se le demande. En tout cas ce n'est pas un dimanche. « Autrement dit, nous sommes précisément la catastrophe, nous autres, sujets de Chambray ». C'est rassurant de le savoir, car les lecteurs sont aussi exemptés de cette dite catastrophe.
Mais il reste cette phrase définitive : « le cheveu est une conversion du poil. Cheveu qui, d'après ce que j'entends ici, ne sera pas affecté par les métamorphoses à venir. le cheveu sera conservé à l'identique ». Tout est bien qui finit bien, sauf pour les chauves.