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Critique de berni_29


La narratrice de ce roman s'appelle Ruriko, c'est une femme blessée par l'infidélité et la violence conjugale de son mari. Elle décide de quitter Tokyo pour se réfugier dans un chalet familial en pleine forêt. Elle n'a pas d'autre but que de fuir. C'est ici qu'elle va accomplir un travail patient et minutieux consistant dans la calligraphie d'un manuscrit, la retranscription du récit autobiographie d'une ancienne médium nonagénaire...
Dans cette solitude choisie, Ruriko va cependant rencontrer deux autres personnes avec lesquelles nous allons la voir cheminer tout au long du récit, Nitta un ancien pianiste reconverti en facteur de clavecin, et Kaoru une jeune femme en apprentissage chez lui.
Le rythme lent de ce très beau texte de Yôko Ogawa m'a pris par la main, sa sonorité, sa musicalité. Les tendres plaintes, c'est le nom d'une suite en ré pour clavecin et violoncelle de Jean-Philippe Rameau, qui a donné le titre à ce surprenant et beau roman. C'est aussi cette musique qui m'a accompagné durant ma lecture et à présent pour en rédiger cette chronique.
Cette musicalité voyage d'ailleurs entre les personnages.
Mais avant que n'entre la musique, ce sont les mains qui m'ont invité au récit, qui m'ont fasciné, des mains qui soignent, qui guérissent, qui calligraphient, qui rabotent, qui effleurent, qui caressent, qui éveillent le désir, qui aiment, qui frappent hélas, abiment les visages et les clavicules, qui savent faire le mal comme cela...
Des mains sous nos yeux vont fabriquer un clavecin, une oeuvre d'art, comme on construit l'édifice d'une existence...
Les mots de ces pages ressemblent à des pas dans la neige. Parfois on ne sait pas d'où viennent ces pas, où ils vont après... La légèreté de la neige les recouvre peu à peu. On se retrouve là dans ce paysage à apprécier cette lenteur, attendre, guetter, sentir qu'à tout moment il peut se passer quelque chose...
Les tendres plaintes est un texte que j'ai aimé dans ses vibrations, sa sensualité...
Le paysage joue un rôle important... Les saisons aussi qui traversent le roman....
C'est la douceur qui m'a accueilli dans les premières pages d'une écriture belle, apaisante, épurée. On se croit ici protégé du reste du monde. Les paysages m'ont rappelé des endroits où je me suis senti bien, une forêt, le bord d'un lac...
Ruriko aurait voulu entrer dans l'univers de Nitta et de Kaoru. Elle se sent misérable et abandonnée, comme à la porte d'un bonheur qu'elle sait déjà ne jamais pouvoir franchir.
Dans les entrelacements de ces trois personnages principaux, solitaires et passionnés, c'est le sentiment d'un amour pur qui prévaut ici, mais où résonne déjà le bruit des blessures anciennes.
J'ai vécu ce roman presque comme un huis-clos, tantôt doux, tantôt oppressant.
L'attitude de Ruriko, sous une apparence de douceur, cache un besoin violent d'être aimée. On sent, on pressent des douleurs, des blessures en arrière-plan. le désir s'installe alors, la jalousie aussi...
Elle se sent peu à peu déchirée par une détresse souterraine.
Il y a une délicatesse tourmentée dans ce texte, qui tient peut-être à des plaies non guéries.
Le paysage du livre ressemble à un coin isolé du monde. Je me suis senti démuni devant le désarroi de Ruriko, son besoin d'aimer, d'être aimé, sa jalousie qui fait mal, qui fait peur, ses blessures qui donnent envie de la protéger, son désir de violence sans doute à la hauteur de ce qu'elle a subi... C'est un chemin intérieur alors, parmi la blancheur de la neige et l'ombre de la forêt.
La solitude du personnage de Ruriko m'a hanté. Sa vie ressemble à une calligraphie, faite de pleins et de déliés, le trait du pinceau dans la courbe qui se délie accueille peu à peu quelque chose qui ressemble à un vide sidéral...
On avance pas à pas vers quelque chose de mystérieux, d'angoissé. Comme des pas dans la neige, comme les feuilles qui glissent à la surface d'un lac.
Les mots de Yôko Ogawa sont des notes de musique qui ressemblent à des codes secrets que l'on déchiffre pour parvenir à l'envers d'un paysage onirique oublié de tout.
C'est une histoire où les mots se retiennent tout en disant beaucoup. J'ai trouvé cela magique.
Je me suis senti être suspendu au temps jusqu'à la dernière ligne...

Merci à HundredDreams (Sandrine), Prisca (Pris), DianaAuzou, et Pirouette pour cette belle lecture commune à cinq voix, nos échanges étaient très riches, complémentaires avec chacun son regard comme une petite note de musique qui vient s'associer aux autres dans une partition harmonieuse.
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