Un homme ne peut pas savoir ce que le ventre d'une femme représente, engendre, induit, provoque, combien c'est une zone sensible et omniprésente. C'est la matrice de la douleur, de la vie, du désir, et de la fin. Une femme aime et meurt toujours de son ventre.
Le bus a redémarré avec lenteur, je me sentais à l'abri en son sein. Il ne me protégeait pas du monde extérieur car je n'avais jamais vu le monde extérieur comme une menace, mais il m'en extrayait, et rien d'autre ne savait m'offrir une si douce langueur depuis que mon eux-femme était devenue mon eux-femme.
J'ai fait couler du café et j'ai essayé de tartiner deux biscottes, mais le beurre n'était pas assez mou. Je me suis retrouvé avec un émietté. J'ai considéré l'espace d'un instant l'achat de margarine, avant de me raviser. Rien ne va avec la margarine, ni la couleur, ni le goût, ni la texture, ni le nom. Le sujet mériterait une étude, mais je parierais qu'on en trouvé dans qu'être vingt dix pour cent des réfrigérateurs de personnes qui se sont jetées sous un train au cours des dix dernières années.
Elle savait préparer un poisson, tempérer un conflit, séduire un prêtre, puis, avec la même habileté, préparer un conflit, tempérer un prêtre et séduire un poisson.
Quand un couple se défait, qui est encore le plus amoureux ? La personne qui remplace l’autre dans la foulée, ou celle qui ne la remplace pas ? Qui cherche le plus à oublier l’autre ? Qui en a le plus besoin? Nous nous sommes séparés en octobre après quatorze ans d’amour. Le jour de Noël, la même année, elle ouvrait déjà ses cadeaux avec l’urologue. Quatorze ans balayés en une soixantaine de jours. Quatorze ans de promesses, de secrets, une fille, des réveillons heureux, des siestes au bord de rivières à notre écoute, des rires interminables, de la sagesse et du tumulte. Un restaurant rien qu’à nous rue Amelot, des promenades la nuit, du sexe comme de la bagarre, du sexe comme du miel. Des mots et des gestes, des phéromones, des sentiments, des factures payées ensemble, des grilles de mots croisés remplies ensemble, des murs repeints ensemble, l’enterrement de ma mère, celui de mon père. Une séparation. Et soixante jours plus tard, un autre. Un urologue. Parfois, je ne sais plus différencier ce que je vis de ce que je rêve. Ce n’est pas une façon de parler, la frontière est vraiment floue. Un jour, l’amour inonde vos vies, rien ne l’arrête, comme l’eau. Et le lendemain, on ne peut plus l’attraper, il est insaisissable, comme l’air. L’amour, c’est l’eau, le deuil, c’est l’air.
On fait l'amour, on se lèche l'anus, on se déguise, on part en vacances, on dine chez des amis, on prend un chat, on fait des enfants, on ne fait plus l'amour, on retape une maison, on oublie de nourrir le chat, on s'oublie.
Devant mon immeuble, par terre, il y avait une mare de vomi, je l’ai regardée en fumant une cigarette, avec un mélange de dégoût et de fascination et j’ai jeté mon mégot dedans. À son contact, la braise s’est éteinte en libérant un sifflement léger, et je me suis entendu dire : les flaques de gerbe sont les ecchymoses des trottoirs.
Le mouvement ajoute une dimension encore plus éphémère aux choses. Quand le bus file, il mange et digère les passants, le cerveau agit comme une baleine qui absorbe des milliers de poissons, sans qu’aucun n’apparaisse plus consistant qu’un autre. Et toutes ces personnes qui surgissent et disparaissent en même temps nous rappellent une chose que l’on ne prend pas assez en compte au quotidien : nous ne sommes que ça, des passants.
"Je me dépatouillais tant bien que mal dans ce mois de mars sans saveur quand mon voisin de palier est venu taper à ma porte. Jamais un tel degrés d'intimité n'avait existé entre nous. selon l'interphone, il s'appelait Dalton Burgue. Je ne savais rien de lui en dehors du fait qu'il rentrait tard et qu'il écoutait la télévision toute la nuit, ce qui suffisait à me le rendre sympathique."
Les premières poignées de terre, celles qui viennent recouvrir le cercueil de votre mère, opèrent un basculement irrémédiable. Ce tas qui se forme est impossible à oublier, après lui, plus rien n’est jamais pareil. Même quand rien ne change.