AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Les fruits tombent des arbres est un roman d'un certain Florent Oiseau qui m'a cueilli au vol.
Déjà, s'appeler Florent Oiseau prédestine à une belle vocation lorsqu'on prend la plume. Mais cela ne suffit pas.
Le narrateur, un certain Pierre, la cinquantaine, nous invite à prendre connaissance d'un fait-divers banal. Cela s'est passé à une station de bus, sur la ligne 69. L'endroit est très précis, c'était devant le 112 de la rue de la Roquette à l'arrêt Popincourt, vous savez juste à côté de l'épicerie et en face du restaurant libanais. Je dis ça au cas où...
Un homme est mort là à cet endroit, sans doute d'une crise cardiaque, il est tombé par terre comme un fruit tombe d'un arbre.
Le narrateur a vu son cadavre peu après l'événement. Il n'y était pas préparé. On n'est jamais préparé à cela. C'est l'épicier qui lui a raconté la scène plus tard. Cet homme était un voisin de l'immeuble dans lequel vit le narrateur.
Des voisins, des amis, des proches se mobilisent auprès de la veuve éplorée. On découvre que l'homme était un fervent de la petite reine, alors en hommage à lui le convoi funéraire prend l'allure d'une course cycliste vers le cimetière, tranquille au départ et qui ressemble à l'arrivée à un sprint au sommet du col du Tourmalet où l'on voit la veuve éplorée sortir son épingle du jeu. C'est à cet instant que je me suis dit que ce roman était beau et génial.
Ensuite, je me suis posé une question banale, pourquoi la ligne 69, pourquoi pas la ligne 70 ou la ligne 68... ? C'est vrai, non ?
Pour moi, le chiffre 69, dans la génération à laquelle j'appartiens, me renvoie immédiatement à Serge Gainsbourg... Mais pas que... Et là, je diverge, oui oui je diverge et si je développe (au sens littéraire bien sûr), Babelio risque de me censurer... Dommage pour vous...
Plus tard j'ai compris qu'il n'y avait pas de hasard, justement lorsque le narrateur pose cette question existentielle : « Est-ce la vie qui crée le hasard, ou l'inverse ? » J'ai une petite opinion sur le sujet mais je me garderais bien d'y mettre mon grain de sel ici... Et puis il me faudrait non pas deux heures mais deux jours et une caisse de Côtes de Bourg à partager entre amis...
Je reviens au récit. Ici, faire une omelette aux champignons devient une problématique philosophique insondable. C'est vrai tout de même, que mettez-vous dans votre omelette aux champignons ? Des pleurotes ? Des girolles ? Thèse, antithèse... le narrateur tranche dans une synthèse qui ne permet aucune discussion : des shiitakés.
La ligne 69 de ce bus devient brusquement l'invitation à un voyage, une déambulation, un fil tendu au-dessus du vide, au-dessus de nos vies a priori dérisoires.
Florent Oiseau, au travers de quelques battements d'ailes nous démontre le contraire.
C'est à la fois drôle et touchant.
C'est une poésie de l'ordinaire, mais les jours ordinaires ne sont pas banals. C'est une poésie de l'absurde, car la vie est ainsi faite, idiote, intelligente et géniale...
Où le quotidien devient un théâtre inouï d'émotions.
Il y a quelque chose d'absurde, de profondément déjanté dans ce roman que j'ai adoré.
Qui évoque aussi le caractère éphémère des choses.
Qui parle d'amour.
J'ai souri lorsque le narrateur cite les commentaires sous les vidéos des sites pornographiques et qui pour lui tiennent lieu d'ouvrages sociologiques, de bouteilles jetées à la mer et parfois même aussi d'aphorismes furieusement poétiques.
J'ai adoré la rencontre de Pierre avec une actrice de cinéma célèbre un peu en déclin, à la laverie automatique du coin, celle-ci tente un sursaut dans sa carrière et cela tient à la réussite d'une mayonnaise. Sublime !
Il y a des plaies béantes dans les personnages de ce roman.
Dans ce récit, des femmes, des hommes tombent comme les fruits tombent des arbres.
Se relèvent aussi.
C'est un récit d'une infinie mélancolie où les jours ordinaires deviennent nos drames, nos doutes, nos failles, nos rebonds aussi parfois heureusement.
J'ai vu ici nos vies intimes.
Il y a de la fraternité dans des pages qui disent la terrible solitude vertigineuse de certains personnages, la vraie solitude, subie, terriblement.
Le monde bascule alors pour Pierre la narrateur vers une autre dimension.
Le roman est aussi l'éloge de la liberté, le droit de s'en aller, de partir, de larguer les amarres, vers l'ailleurs.
J'ai aimé apprendre qu'une seconde, c'est le temps qu'il faut à un fruit pour tomber de son arbre, à un homme pour tomber raide mort sur le trottoir devant le 112 de la rue de la Roquette, pour croquer dans un oeuf dur...
J'ai aimé le regard que le narrateur pose sur l'amour. Aimer l'amour, les femmes, leurs hanches, leurs peurs, le goût de leur salive, la façon dont elles prennent le café...
Il a une fille qui s'appelle Trieste, en souvenir d'une ville d'Italie et dans Trieste il y a le mot triste. Les moments de ces rencontres sont beaux et offrent comme un sens ultime à ce roman.
Il y a quelque chose d'extraordinaire dans les mots de ce récit.
L'oiseau fait son nid, les mots aussi dans ce texte où viennent se nicher les âmes d'Antoine Blondin ou d'Alexandre Vialatte...
Les jours ordinaires cachent des territoires insoupçonnés, d'une beauté douloureuse. Florent Oiseau nous le rappelle ardemment et c'est jouissif.
Quand les fruits tombent des arbres, je me garde bien à l'heure de la sieste de me retrouver en dessous. Et quand bien même...
Mais quand je lis Florent Oiseau, je m'envole...

♬ Gainsbourg et son Gainsborough
Ont pris le ferry-boat
De leur lit par le hublot
Ils regardent la côte
Ils s'aiment et la traversée
Durera toute une année
Ils vaincront les maléfices
Jusqu'en 70
69 année érotique
69 année érotique ♬

Lu dans le cadre de la sélection Prix CEZAM 2022.
Commenter  J’apprécie          5614



Ont apprécié cette critique (54)voir plus




{* *}