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Critique de Osmanthe


La vie de Kakuzô Okakura a couvert toute la période de l'ère Meiji, ouverture accélérée du Japon à l'Occident. Contemporain de Soseki Natsume, il a comme lui beaucoup voyagé, en Europe et aux Etats-Unis. Son livre du thé est adressé aux Occidentaux.

On ne peut qu'être admiratif de l'esprit de synthèse de l'auteur, qui parvient à concentrer tout ce qu'il faut savoir sur le thé en tant que charge symbolique de la culture orientale. C'est ici non pas la plante, le produit en lui-même qui l'intéresse, mais le cérémonial de sa préparation et tout ce qui l'accompagne pour en faire un moment quasi-mystique de la vie quotidienne. Religion, histoire et art nous accompagnent au long de ces pages dans des trésors d'érudition, de philosophie et de poésie.

Okakura, après avoir regretté que ces deux mondes, Orient et Occident ne se comprennent guère, avance que le moment du thé est le trait d'union qui met tout le monde d'accord, tant il a acquis un caractère universel. Il retrace ensuite dans une explication passionnante l'histoire de la préparation du thé, cette plante originaire du sud de la Chine, qui a évolué au fil des dynasties impériales : « le gâteau de thé bouilli, la poudre de thé fouettée et la feuille de thé infusée manifestent les élans émotionnels distincts des dynasties chinoises Tang, Song et Ming. Si nous nous permettions d'emprunter les termes rebattus des classifications artistiques, nous pourrions les désigner respectivement comme les écoles classique, romantique et naturaliste du thé. » On apprend que le poète Lou Yu a produit un véritable code du thé au VIIIème siècle, qui inclut la plante, la préparation et les ustensiles, et aussi, oh surprise, qu'on a longtemps ajouté du sel à l'eau dans laquelle l'infuser. L'art du thé a pris son essor avec le taoïsme de Lao-Tseu et Tchouang-Tseu en Chine du sud, plus en phase avec la nature et la notion d'impermanence des choses, où l'individu se meut dans l'évolution du monde, quand le confucianisme de Chine du nord proposait une vision plus rigide et rigoriste. L'auteur nous explique ainsi que le zen japonais, issu du taoïsme, a adopté l'art du thé et lui a permis ensuite d'en perpétuer la tradition quand elle fut détruite en Chine par les soubresauts de l'histoire, notamment lors des invasions mongoles. C'est le passage le plus complexe du livre, qui nécessite probablement de plus amples connaissances préalables sur la distinction entre ces deux doctrines issues du bouddhisme.

Après nous avoir décrit l'univers particulier de la Chambre de thé, et sa décoration d'un dépouillement extrême, propice à faire le vide et savourer l'instant présent, Okakura égratigne encore le goût occidental pour la symétrie des objets et leur foisonnement excessif, en nombre et en couleurs saturant l'espace, quand le Japonais préfère l'asymétrie, la non-répétition des formes et couleurs, et le dépouillement. Evoquant l'importance du tokonoma, ce petit espace de renfoncement plus sombre situé dans la pièce maîtresse de l'habitation, qui met en valeur un vase avec une sobre composition florale et un tableau, il m'a absolument rappelé ma récente lecture d'Eloge de l'ombre de Tanizaki.

Mais le meilleur est peut-être pour la fin, avec le sixième et avant-dernier chapitre sur les fleurs. C'est probablement la plus belle prose jamais écrite pour rendre hommage aux fleurs, victimes totalement désarmées face à la main de l'homme, sans lesquelles sa vie serait quasi-impossible, tant elles nous accompagnent du berceau à la tombe. Un pur bonheur poétique : « Leur tendresse sereine nous rend un peu de notre confiance déclinante en l'univers, de la même façon que le regard résolu d'un bel enfant nous rappelle nos espoirs perdus. Lorsque nous sommes couchés dans la poussière, ce sont elles qui s'attardent à pleurer sur nos tombes. »

Enfin, il conclut avec le triste et noble sort du moine zen Rikyû, figure de la Voie du thé, serviteur du futur et fameux shogun Hideyoshi. Soupçonné de complot pour l'empoisonner par une tasse de thé vert, il prépara pour ses disciples une dernière et émouvante cérémonie du thé juste avant son exécution.

Au terme des sept chapitres, nous nous sentons plus instruits, et apaisés par cette poésie imprégnée du zen dont la cérémonie du thé est indissociable. le livre du thé n'est pas un livre sur le thé, mais sur la spiritualité entourant le cérémonial du thé, sur sa symbolique de l'âme orientale et spécifiquement japonaise. Dès lors qu'on a compris cela et qu'on se satisfait de ce parti, on a là sous la main un grand petit livre, dont les éditions françaises se sont multipliées ces dernières années. Pour ma part, j'ai choisi Synchronique, pour le format très réduit qui permet vraiment de le glisser dans une poche, et qui est parsemé d'estampes d'Hokusai. Un véritable régal à lire et relire.

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