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Citations sur La drogue ou la vie (6)

5. « Le manque n'est pas une maladie. C'est une organisation psychologique, celle-là même qui définit le toxicomane. On pourrait la décrire ainsi : il y a la béance, le manque premier ; il y a la drogue qui la colmate provisoirement dans le "flash" ; et puis il y a le manque de la drogue qui est comme une métaphore de la béance : à travers l'alchimie de la mémoire, la béance s'est inscrite, jusqu'à s'y donner figure, dans ce qui l'a un moment comblée. Le toxicomane apparaît donc comme un système double : lui et la drogue, avec la béance pour moteur. Je dirai qu'il constitue un duo.
Le projet global du toxicothérapeute se définira dès lors comme une prise en charge de ce duo. Dans un premier temps, il s'agira pour lui de le contrebalancer à travers un autre duo, qu'il s'efforcera de rendre aussi dense : celui dans lequel le toxico se trouve engagé avec lui, la relation psychothérapique se substituant, de ce fait, à la drogue. Le nouvel équilibre instauré, le thérapeute établira un échafaudage thérapeutique autour du sujet, en lui ménageant des repos sécurisants, en variant ses lieux de vie, en s'efforçant de susciter chez lui des intérêts et des plaisirs neufs. Le troisième temps, enfin, correspondra à l'organisation progressive de l'indépendance de celui qui, maintenant, commence à devenir un ancien toxicomane. » (pp. 232-233)
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« Nous le savons, la drogue est un phénomène de société, un des visages les plus caractéristiques de notre époque traumatisée : le toxico est malade de notre monde ; et puisque c'est par sa famille qu'il se relie, concrètement, à la collectivité, on peut dire qu'il est, d'abord, malade de ses parents. Pour lui, la came constitue le plus souvent un moyen, quasi magique, de survie au sein de rapports familiaux vécus comme un conflit sans issue. » (p. 305)
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1. « Pour moi, c'est une période critique qui commence. D'autant plus angoissante qu'elle ne met pas seulement en cause ma pratique et mes conceptions de soignant : il y a l'âge, aussi, qui s'inscrit dans mon corps, quelques problèmes de vie qu'il me faut affronter. Et ces choses, également, auxquelles je ne m'habitue pas : la mort de jeunes filles et garçons que j'ai côtoyés quotidiennement, la rechute de ceux que j'ai crus tirés d'affaire, la vie parfois médiocre, dépressive de ceux que nous avons guéris et dont les yeux, muet reproche, me demandent pourquoi je les ai menés là, et si je n'ai pas un sort meilleur à leur proposer... » (p. 8)
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4. « Mais le future toxico, lui, se trouve confronté sans relâche à son manque, à sa nostalgie d'identité. Il est constamment rejeté à ce moment à la fois entrevu et inaccompli du déjà presque et du presque plus, dot parle Jankélévitch. Il est constamment renvoyé à la brisure et à l'éclatement.
De là son côté flottant et parcellisé, qui fait qu'il semble présenter successivement toutes sortes d'éléments de pathologie différents : parfois un peu schizophrène, parfois un peu maniaco-dépressif, parfois un peu homosexuel, parfois un peu pervers, un peu tout cela mais jamais vraiment. Son univers intérieur est une succession d'équilibres instables qui se déploient entre la personnalité normale et la personnalité psychotique. D'où le désarroi des psychiatres qui, ne traitant en général que l'aspect de ses métamorphoses qui leur est le plus familier, se trouvent profondément déroutés par la mobilité de sa personnalité et de sa conduite.
[…]
D'expériences en explorations, tous compromis épuisés, il ne lui reste plus finalement que la drogue – à condition qu'il la rencontre (et il ne la rencontre pas toujours). Alors le miroir se recollera, et il épousera son image. Ce sera l'unité retrouvée, non pas seulement totalité réformée mais encore densité d'être, sensations, chaleur, musique. Ce sera le paradis perdu : n'est-ce pas Scacz [Thomas Szasz] qui avait décelé la première drogue dans la pomme d'Adam et Eve ?
Aussi bien paiera-t-il son bonheur, l'effet des produits retombé, par la culpabilité, par le retour à son manque premier, encore avivé d'être redoublé dans l'aventure de la drogue. Son instabilité, sa démesure fondamentale vont s'en trouver multipliées...
Lorsqu'on parle de toxico réel, il y a donc bien le risque d'une sorte de damnation. Seulement, ce risque ne lui vient pas des produits. Il le porte en lui. Mieux encore, c'est à travers lui qu'il se transforme, qu'il devient, non pas, comme le croient beaucoup de psychiatres, un malade mental qui aurait l'usage de la drogue comme symptôme, mais bien un homme autre, original, recréé par l'acharnement toxicomaniaque qu'il apporte à colmater la béance qui fonde son destin. » (pp. 228-230)
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3. « Mais une seconde question s'imposait maintenant à mon esprit : qu'est-ce qui explique le rapport démesuré à cette expérience-là, comme si, sans elle, on ne pouvait que mourir ? Je me disais que cet usage passionnel, frénétique devait bien remplacer quelque chose. Mais quoi précisément ? Et j'ai fini par dégager une réponse qui allait m'apporter, du même coup, la pierre angulaire de cette pathologie spécifique des toxicomanes à laquelle je me consacre désormais.
Afin de faire image, j'ai choisi de me référer à cette notion de stade du miroir qu'a introduite Lacan. Pour celui-ci, tout enfant, à la naissance, vit dans un état fusionnel avec sa mère, ne fait qu'un avec elle. Mais survient nécessairement un moment où il va se détacher et se percevoir dans son identité propre. Le miroir – réel ou imaginaire – symbolise ce moment […] C'est dans ce miroir que l'enfant se reconnaît comme différent, et donc se pose comme un "je", comme un "moi".
[…]
Le cas du toxicomane est différent. C'est comme s'il n'avait fait qu'entrevoir le miroir. Comme si celui-ci s'était brisé dans le moment même où il commençait à s'y reconnaître. Il va donc demeurer dans une espèce d'incomplétude, avec une personnalité morcelée. […] Il l'a entr'aperçue mais il ne l'aura jamais plus. Dans sa mémoire inconsciente, cependant, il conserve le souvenir, et la nostalgie, de ce "moi" qu'il aurait pu être et qu'il n'est pas : c'est cela, son manque. » (pp. 226-227)
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2. « Le psychiatre qu'il y avait en moi commençait à pressentir que certaines personnalités, du fait de leur contentieux psychologique, se trouvaient plus que d'autres prédisposées à se laisser enfermer dans la drogue. Et puis, de toute évidence, les scientifiques, au sens étroit du terme, se révélaient incapables de répondre à ce qui me semblait l'interrogation majeure de l'époque : qu'est-ce qui, tout à coup, incitant tant de garçons et de filles à tenter la vieille aventure de l'humanité, c'est-à-dire aller au-delà du miroir, épouser et développer la totalité de son imaginaire mental, sensuel, érotique ?...
En ce sens, la condamnation puritaine de produits qui, en tant que modificateurs de pensée, proposent d'aussi riches sources de découvertes m'irritait considérablement. Leur excommunication sous prétexte de dangerosité relevait, à mes yeux, d'une attitude bornée et de surcroît peu scientifique, cette dangerosité étant établie en élément constitutif du produit, comme si une plante pouvait avoir une dimension morale. Ce tour de passe-passe "psycho-pharmacologique" que j'ai déjà dénoncé m'indignait d'autant plus qu'il servait de justification aux campagnes, brutales et sommaires, de l'establishement médico-social.
Jetant l'anathème sur les produits toxiques, celui-ci ne poursuivait en effet qu'un seul but : le renforcement de la législation répressive. » (p. 199)
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