Dans le Gai Savoir, le maitre du soupcon (Nietzsche) a confié combien il lui était "odieux de suivre autant que de guider"
Opposé au mariage, Nietzsche est plutôt circonspect quand à l'engendrement. Paternité et maternité engagent trop pour faire un enfant à la légère. A moins d'être certain d'y trouver un argument pour tendre vers le surhumain, les géniteurs n'ont guère de raison de sacrifier au rite préhistorique. A un interlocuteur imaginaire, Zarathoustra demande: "Est-tu quelqu'un qui de vouloir un enfant ait le droit? Est-tu le victorieux, le dominateur de soi, le maître des sens, le seigneur de tes vertus? Ainsi je t'interroge. Ou ce qui parle en ton désir est-il la bête ou le besoin? Ou bien la solitude? Ou l'insatisfaction de soi?"
Puisque son propos n'est pas le trône -ni la pourpre - le philosophe peut bien parler comme un homme libre peut seul se le permettre: le Travail est une contrainte, la Famille une façon de conjurer la solitude et la pénurie sexuelle, la Patrie une rhétorique de belliqueux incultes.
Avec la volonté de puissance et la nouvelle cosmologie qu'elle suppose, Nietzsche dépasse les audaces de Copernic. Avec l'éviction définitive de Dieu, il outrepasse et laisse loin derrière les impertinences de Feuerbach. En définissant l'homme comme un animal encombré par la civilisation, le philosophe au marteau fait pâlir les effronteries de Darwin. Révolution, s'il en est, que nier la partition entre règle animal et règle humain...
Brisés en leurs noyaux, frappés à la face, les dieux s'effondrent. L'entreprise feuerbachienne est récente. A l'heure ou Nietzsche écrit, elle a une quarantaine d'années. Cependant, les livres ne sont jamais que les reflets de ce qui se passe dans l'air du temps. Feuerbach théorise un athéisme qu'il sent dans les mentalités. il analyse un phénomène qu'il peut déjà constater, il use d'un matériel conceptuel là ou la réalité se diffuse, se disperse et instille les âmes.
Il en va de même pour Nietzsche, athée parmi les athées.