Mon histoire commence le jour de mes cinq ans à Kostopil, en Ukraine. À ma naissance, la ville faisait partie d'une région de Pologne dont l'armée russe s'empara au début de la Seconde Guerre mondiale, quand j'avais trois ans. Dans mon entourage, on parlait trois langues : le russe, le polonais et l'ukrainien, et à la maison, surtout le polonais et le russe.
Papa m'offrit une petite voiture mécanique pour mon anniversaire. On la remontait avec une clef, et elle roulait à toute vitesse quand on la posait par terre. J'étais si fasciné que je ne m'en séparais jamais. La nuit, je la serrais dans mes bras et je la posais sur mes genoux pendant les repas.
Ce jour-là, je me précipitai chez mon amie Marinka, la fille de nos domestiques. Elle avait sept ans, comme mes soeurs. Je tenais absolument à lui montrer mon nouveau jouet. Ma mère me défendait de la fréquenter parce qu'elle avait des poux, mais je passais outre. J'adressais un charmant sourire au gardien qui entrebâillait le portail pour me laisser passer. Il ne m'avait jamais dénoncé. Il faut préciser que les autorités l'avaient nommé à ce poste car mon père était le chef de la police régionale.
Marinka n'avait pas le droit de venir chez nous, sauf pour aider sa mère au ménage. Quand elle avait envie de s'amuser, elle sifflait derrière la haie et je filais en douce la rejoindre. Elle était toujours contente de me voir. Nous avions nos distractions favorites. Nous nous cachions dans la remise à outils pour jouer à la maman et au papa, ou au docteur. J'incarnais invariablement le père qui lui criait dessus en ukrainien, comme le sien. Quelquefois, je la frappais (pas pour de vrai) et nous nous serrions l'un contre l'autre dans un lit improvisé. De temps en temps, elle apportait sa poupée. On l'embrassait, on la déshabillait et on la rhabillait. «Papa, comment veux-tu punir ta fille ?» demandait-elle. Je n'étais jamais à court d'imagination. L'enfermer dans le noir, par exemple, ou lui donner la fessée. «Et si on lui mettait sa robe rouge ? Ou des culottes de dentelle ? C'est l'heure de la tétée, maintenant.» Et puis on la battait si elle se faisait pipi dessus.