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Critique de lafilledepassage


Daddo, un jeune Milanais, riche célibataire oisif, prend le large sur son voilier pour découvrir de nouvelles terres, car « quand le printemps est là, les Milanais s'en vont de par le monde en quête de terres à acheter. Pour y bâtir des maisons et des hôtels, naturellement, et peut-être même, plus tard, des maisons populaires ; mais c'est surtout après ces expressions de la « nature », restées encore intactes, qu'ils courent, après ce qu'ils entendent, eux, par nature : un mélange de liberté et de ferveur, avec une bonne dose de sensualité et un brin de folie, dont ils semblent assoiffés à cause de la raideur de la vie moderne à Milan».

Mais Daddo, « menacé par la maladie (ainsi pouvons-nous appeler la pensée » n'est peut-être pas tout à fait un jeune bourgeois ordinaire, car il est avant tout sensible, indécis, frappé de « mélancolie » et surtout très éloigné de la « cruelle exigence du réel ».

Il arrive sur une île non répertoriée, appelée l'île du Diable. Les habitants de l'île ont un comportement étrange, ils ne répondent pas au salut du jeune homme, restent immobiles et muets. Ce n'est que le début, car bientôt Daddo verra dans le ciel une double-lune et constatera que la distance retour entre son voilier et l'île est plus longue que la distance aller. Et surtout il fera la connaissance de l'iguanette, une bien étrange créature, entre la petite fille et le reptile, employée comme domestique par les habitants de l'île.

C'est un roman foisonnant, énigmatique, étrange et malsain aussi. le lecteur est sans cesse bousculé, sans cesse délogé de ses certitudes. Il est brinquebalé en eaux troubles (celles de l'inconscient, je pense mais je ne suis pas férue de « psy-choses »), probablement aussi mal à l'aise devant cet amour entre un homme et une iguane, un animal pour le moins peu ragoûtant, et devant l'apathie, que je qualifierai de coupable, et la faiblesse du comte face aux conditions de vie de la petite.

La fin est totalement chaotique, et ce roman reste inclassable. Cette chronique est donc une entreprise vouée à l'échec, que je tente néanmoins … en limitant mon point de vue à deux angles de vue.

D'abord, ce roman est un conte philosophique, un long questionnement « sur l'inexistence d'une véritable ligne de démarcation entre réel et irréel. Chaque chose, fût-elle à peine pensée, est aussitôt réelle», sur notre liberté « Qu'est-ce à dire ? Une liberté peut-elle venir de l'extérieur ? Peut-elle n'être pas le fruit d'une violence exercée sur notre désir de vie confortable et sûre ? Peut-elle se concilier avec l'idéal d'une vie allégée de responsabilités, quand ces responsabilités furent par nous-mêmes librement assumées ? », sur ce qui fait notre humanité comme cette « Iguanette, élevée de sa condition animale précisément par ce qu'en elle voit, ou croit voir, le marquis, n'est plus une Iguanette, un triste petit corps vert, mais une aimable et ravissante fillette de l'homme.».

C'est aussi une satire sociale. Ortese critique les riches Lombards qui « tenaient pour certain qu'un monde opprimé a quelque chose à dire, alors que, si l'oppression est ancienne et avérée, l'opprimé n'existe même pas, ou n'a plus conscience de l'être : seul existe bien que sans une conscience authentique, l'oppresseur, qui, parfois, par afféterie, simule les manières qui seraient légitimement celle de la victime, si elle avait encore une existence. ». Ces riches Lombards « qui des livres ne comprenaient rien ou presque, comme le voulait le siècle », et pour qui les « rencontres avec les indigènes et la ténébreuse noblesse de telle ou telle île, sont parmi les émotions les plus recherchées ; et s'il te vient à l'esprit que la recherche de l'émotion convient mal aux vastes possibilités de l'argent, réfléchis à l'étroite correspondance entre puissance économique et affaiblissement des sens, raison pour quoi, parvenu au sommet du pouvoir d'achat, on est pris de je ne sais quelle torpeur, quelle incapacité générale à discerner, à apprécier ; et celui qui, désormais, pourrait se repaître de tout n'a de goût que pour peu de chose, ou rien. »

Dans cette iguane, j'ai retrouvé aussi l'atmosphère des cinéastes italiens comme Fellini, Ferreri, … avec leurs films complétement baroques et déjantés.

Probablement un roman qui mériterait une deuxième lecture. D'abord pour le style suranné qui fait la part belle aux subordonnées enchâssées et aux subjonctifs passés (des temps beaucoup plus courants en italien qu'en français), pour la finesse du vocabulaire et pour la poésie de la prose. Ensuite, bien sûr, pour la richesse du propos, car j'ai cette impression d'en avoir perçu qu'une infime partie.

L'iguane, bien plus donc que tout ce que j'en dis ici. Et fort probablement tout autre chose.

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