Le Secret

Il existe autant de raisons au silence qu’il y a d’humains et de manières d’être au monde.

Lorsque quelqu’un se confie à vous, posez-lui des questions. Il s’agit peut-être d’une perche tendue vers un autre secret, plus ancien. La parole, précieuse, a besoin d’être soutenue, amplifiée. S’aventurer dans le secret, c’est creuser des chemins de traverse.

J’ai toujours été admirative de la beauté des mots, et plus particulièrement de ceux qui sont tus, ou dits dans un souffle, parce qu’ils dessinent un terrain vague et libre où tout reste à faire. Ils attendent, tapis dans l’ombre, l’impulsion qui leur permettra d’exister au monde.

J’ai envie d’écouter des récits de silences, de comprendre leur essence et ce qui est venu les bouleverser. J’ai besoin d’entendre tous ces mots dont on m’a privée toute ma vie.

Les secrets à étages m’ont
d’abord surprise, voire décontenancée. Pourquoi me confiait-on la plupart du temps les symptômes plutôt que les origines ? Par pudeur, par honte,
ou par besoin d’être rassuré avant d’aller plus loin. Parfois, aussi, parce qu’il est difficile de réaliser jusqu’où remontent les racines de nos silences.


 

Lorsque quelqu’un se confie à vous, posez-lui des questions. Il s’agit peut-être d’une
perche tendue vers un autre secret, plus ancien. La parole, précieuse, a besoin d’être
soutenue, amplifiée. S’aventurer dans le secret, c’est creuser des chemins de traverse.


 

Je pense aux perches qu’on m’a peut-être tendues, mais que je n’ai pas su saisir.
Combien d’occasions manquées ?


 

Il y a un certain enivrement à se plonger dans l’intimité des autres. Non pas simplement
pour les histoires qu’ils me livrent, mais parce qu’assister à la libération d’une
parole est d’une puissance folle. Je sens que d’une

Le premier secret d’Élina, le viol, doit son existence au manque d’information et à la culpabilité. Comment parler d’un événement traumatique sur lequel on n’arrive pas à poser de mots, et dont on se sent responsable ? Ce premier secret a entraîné le deuxième, sa grossesse, qui semble, lui, plutôt motivé par la honte : celle de ne pas savoir qui est le père, laissant ainsi entrapercevoir une vie sexuelle
bien remplie.

Grandir « sans avoir de père, c’est une chose, mais savoir que son père est un violeur, c'en est une autre. » Elle se dit aussi que même si sa plainte n’aboutit pas, il y aura une trace dans son dossier qui pourrait aider d’autres femmes par la suite.

Chez nous par exemple, plus personne ne se parle. Il y a eu plusieurs cas de violences sexuelles intra- et extrafamiliales, et je pense que… », elle avale sa salive et reprend sa respiration, « tout ça est un peu lié.
Ce n’est pas pour rien que j’ai été violée. Mon cousin, ma cousine et ma nièce l’ont été aussi, il y a vraiment une dynamique terrible. »

La clé du secret de Victoire, c’est la honte. Si elle décide de surmonter seule sa maladie, c’est aussi et surtout pour ne pas ressusciter les traumatismes qu’elle a vécus. Nous touchons du doigt pour la première fois la question du tabou. Si parler ne suffit pas, alors, comment se libérer d’un tel poids ?

J’ai reçu énormément de secrets impliquant des viols et des abus sexuels. Comme je ne me sentais pas prête, j’avais décidé d’attendre avant de m’y confronter. Mais voilà que le sujet tombe sans que je m’y sois préparée. Alors j’essaie de trouver le bon équilibre entre empathie et recul.