L’émotion la plus forte que m’a procurée dans un premier temps vient de là : de la diversité des points de vue, des existences, qui fait dévier les définitions, et qui offre une grande leçon d’empathie et d’humilité.
De toute manière, les enfants ne doivent pas écouter
les conversations des adultes. Chez ma grand-mère, c’est pareil. Dès que je passe
le pas de la porte de la cuisine, souvent, les voix étouffées que j’entendais au loin
cessent tout à coup. Quand, dans la voiture, en partant, je demande à ma mère quel
était l’objet de leur conversation, elle me répond que ce sont des discussions d’adultes
et qu’elles ne me concernent pas. Me voilà aujourd’hui enfin adulte. Et pourtant,
je ne sais toujours pas.
J’ai toujours été admirative de la beauté des mots, et plus particulièrement de ceux qui sont tus, ou dits dans un souffle, parce qu’ils dessinent un terrain vague et libre où tout reste à faire. Ils attendent, tapis dans l’ombre, l’impulsion qui leur permettra d’exister au monde.
Me voilà donc avec ces secrets qui me brûlent les mains. Je les observe un peu béate
sans savoir quoi en faire. Je les tourne, les retourne, essaie de les décrypter. Après
ces quelques jours en famille faits de discussions superficielles, j’ai soudain le
vertige de toute cette profondeur de la parole. Parler ne fait pas partie des traditions
de ma famille, et comme tout, cela s’apprend. Moi je l’ai expérimenté plutôt avec
des inconnus, des amours et des amis, qu’avec mes parents.
Qu’est-ce qui a poussé ces gens à me partager la chose la plus intime de leur existence, sans même me connaître, avec le risque qu’elle soit révélée publiquement ? Une urgence de dire, de déposer, de faire exister, d’enterrer ?