Après avoir découvert le premier album d'
Alvaro Ortiz,
Cendres, que j'avais plutôt bien aimé, j'ai été attirée par cette couverture assez particulière en la voyant à la bibliothèque et quand j'ai vu qu'il s'agissait du même auteur, je n'ai pas hésité.
J'ai trouvé ce deuxième album encore mieux que le précédent ; je l'ai même trouvé génial. L'histoire est vraiment bien ficelée, le personnage principal est plus creusé que ceux de
Cendres et les personnages secondaires sont tous intéressants, surtout le collectionneur, dont les motivations non élucidées en font un personnage très énigmatique : à la fois sympathique et très pacifique, on se demande vraiment ce qu'il cache dans son passé pour avoir un hobby aussi morbide, et en même temps, plus l'histoire avance, comme l'empathie avec Malmö fonctionne plutôt très bien, on est comme de plus en plus fasciné, avec lui, par tous ces objets macabres.
Et bien sûr au final le monstre n'est pas celui qu'on croyait au début.
J'ai trouvé très intéressante et très bien mises en scène ces tribulations d'un écrivain en quête d'histoire, et tout le propos méta-littéraire qui va avec : on ne peut écrire qu'à propos de ce qu'on connaît, donc il faut s'ouvrir au monde, apprendre à connaître ce qu'on veut écrire ; hors il se trouve ici que ce qui intéresse l'écrivain ce sont ces objets chargés d'histoire. Il avait entrepris ce travail et n'avait jamais été aussi créatif, sauf qu'on l'empêche de le terminer en tuant et détruisant la maison du collectionneur. Résultat, pour avoir une histoire à raconter, il se fait lui-même tueur ; c'est le twist final auquel personnellement je ne m'attendais pas du tout, et en cela je le trouve très réussi.
Pourtant le narrateur avait laissé quelques indices, et d'ailleurs cela m'avait agacée sur le moment ; quand il dit quelque chose comme "je suis passé devant la scierie, je ne savais pas encore que cette scierie aurait une importance capitale à la fin de l'histoire". Je l'ai d'abord pris pour une maladresse narrative de l'auteur, je trouve toujours un peu grossier ce pointage trop évidents d'éléments, qui manifestent une volonté de mettre du suspense avec de grosses ficelles. Mais en fait, par rapport à l'entreprise de Malmö, c'est cohérent. ça montre que c'est lui qui raconte une histoire dont il connaît déjà la fin ; donc qu'il a atteint son but et que cette histoire en est le résultat. Qu'il sait où il va, que l'histoire a un sens présent depuis le début, et il le reconstruit en le racontant.
C'est intéressant de voir aussi que plus Malmö devient écrivain, plus il se détache du monde qui l'entoure, on a l'impression qu'il n'éprouve plus d'empathie pour personne, qu'il ne considère son entourage que comme des matières à raconter. Il se fout de sa copine, dont il s'éloigne de plus en plus, il prétend se foutre de la mort du vieux et être seulement furieux de ne jamais pouvoir connaître l'histoire de tous ses objets... C'est sans doute à partir de là qu'il commence à basculer du côté serial killer, avant son coup de tête final. C'est très bien fait. Comme dès le début j'avais de l'empathie pour lui, j'ai continué à en avoir même après son passage du côté obscur. J'ai été bien manipulée, l'auteur a réussi son coup : il m'a mise dans la peau d'un écrivain tueur.
Cette histoire me fait aussi penser à Un roi sans divertissement de Giono, avec l'enquêteur qui traque le tueur en série et qui peu à peu devient fasciné par le spectacle de la cruauté, jusqu'à finalement prendre sa place.
D'un point de vue esthétique, j'ai trouvé cet album beaucoup plus intéressant que
Cendres. Les traits sont toujours les mêmes, simples, presque enfantins, mais l'ensemble est moins terne, il y a plus de couleurs. Il y a un certain génie dans la représentation du macabre, aussi, surtout dans le contraste entre les chats tous mignons et l'horreur qui les entoure. A mon avis,
Alvaro Ortiz est en train de trouver son style, que je trouve nettement plus affirmé dans ce deuxième ouvrage, qui est selon moi bien plus mémorable que le premier. C'est en tous cas un auteur dont je continuerai de suivre les oeuvres avec grand plaisir.