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Critique de Plage_Maison


Il y a des livres qui vous marquent plus que d'autres, des livres dont la lucidité et l'intelligence vous sautent au visage. Ces livres dont on sait qu'ils nous plaisent parce qu'à chaque page tournée, on est triste de constater que ce qui reste à lire diminue irrémédiablement. le Quai de Wigan de George Orwell en fait clairement partie.

La première partie relate la vie de la classe ouvrière du nord de l'Angleterre, sous une forme de reportage immersif. La Révolution industrielle a arraché les paysans anglais à leurs campagnes pour créer une nouvelle race d'homme : les mineurs de charbon. Décrivant leur misère et leur travail exténuant, Orwell se plonge dans cet autre monde, tantôt terrifié, tantôt admiratif. Orwell décrit les taudis, les maladies, la nourriture infame et les bassesses subies par les ouvriers et les chômeurs. Mais il retient aussi de cette classe ouvrière, franchise, amicalité et un foyer apaisé lorsque la famille prend un bon thé chaud près de la cheminée. Il appellera et conceptualisera ces traits de la classe ouvrière sous le nom de "common decency", traduit en français par "commune décence" (Jean-Claude Michéa préfère parler de "décence ordinaire").

La deuxième partie est un essai ​sur le socialisme. Orwell réaffirme le but du socialisme qui n'est autre que "justice et liberté" et s'émeut que le socialisme ne gagne pas plus de succès auprès de ceux qui auraient objectivement intérêt à combattre ensemble : "Le socialisme est si conforme au bon sens le plus élémentaire que je m'étonne parfois qu'il n'ait pas déjà triomphé" (Chap XI). Il s'étonne mais en donne pourtant des explications très convaincantes. Elles vont du mépris de classe, d'une vision économiciste de la vie (incapable de concevoir l'attachement à la patrie ou à la religion), d'un culte du progrès technique et industriel qui ne peut que conduire à une collectivisation privant les individus d'une conduite autonome de leur vie, à un déphasage entre les théoriciens bourgeois et les classes populaires pourtant naïvement célébrées et à un goût pour le progrès lifestyle des végétariens amateurs de yoga. Orwell déplore que la colère ne soit pas captée par les socialistes mais par les fascistes, et constate que ce n'est pas tant le socialisme que les socialistes qui sont rejetés. Ce livre a été écrit en 1937 pourtant il résonne magnifiquement en 2022.

Dans la seconde partie comme dans la première, Orwell cherche à mettre à nu la réalité et conserve une exigence pour la vérité. Cette même vérité objective, c'est celle de Winston Smith qui refuse de dire 2+2=5. Orwell se méfie des logomachies du Daily Worker et des partis de gauche, de ceux qui s'accommodent des approximations, parlent d'un prolétariat qu'ils ne connaissent pas et ne poussent pas leurs raisonnements jusqu'au bout. C'est ça qui frappe avant tout le lecteur du Quai de Wigan, c'est l'extrême acuité des remarques d'Orwell, comme s'il était scandaleux qu'elles ne soient pas énoncées haut et fort plus souvent.
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