Derrière une de ces maisons, une femme, jeune, était à quatre pattes sur la pierre, enfonçant un bâton dans le tuyau de vidange de cuivre partant de l'évier. Celui-ci devait être bouché . J'eus la temps de détailler cette femme-son tablier informe, ses grosses galoches, ses bras rougis par le froid. Elle leva la tête au passage du train et je pus presque croiser son regard. Elle avait un visage rond et pâle, le visage las de la fille des taudis ouvriers, qui a vingt-cinq ans et qui en paraît quarante, après une série de fausses couches et de travaux harassants. Et, à la seconde où je l'aperçus, ce visage était empreint de l'expression la plus désolée, la plus désespérée qu'il m'ait jamais été donné de voir. Je compris soudainement l'erreur que nous faisons en disant que "pour eux ce n'est pas la même chose que pour nous", sous-entendant que ceux qui sont nés dans les taudis ne peuvent rien imaginer au delà des taudis. Car ce que j'avais reconnu sur ce visage n'était pas la souffrance inconsciente d'un animal. Cette femme ne savait que trop ce qu'était son sort, comprenait aussi bien que moi , l'atrocité qu'il y avait à se trouver là , à genoux dans le froid mordant sur les pierres glissantes d'une arrière-cour de taudis, à fouiller avec un bâton un tuyau de vidange nauséabond.
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