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Critique de HordeDuContrevent


Le plongeon prometteur a bien failli se transformer en un plat mémorable. La déviation de la ligne de nage aurait pu m'apparaitre comme un pas de côté intéressant, ce fut une brasse à contre-courant laborieuse.

L'allégorie pourtant avait tout pour me plaire. Julie Otsuka se base sur les sensations des nageurs de piscine, les passionnés de l'eau chlorée, qui suivent obstinément dans ce lieu clos et protégé, aux règles immuables, à la température toujours constante, leur ligne de nage selon leurs habitudes et leurs niveaux, pour analyser ce qui se produit lorsque des failles apparaissent au fond de la piscine.
Peur, angoisse, incompréhension, fuite pour certains, paranoïa, complotisme, acceptation, voire accueil bienveillant, les réactions de nos personnages sont variés, un brin exagérés frôlant par moment le burlesque (mais c'est une allégorie n'arrêtais-je pas de me dire en moi-même). Jusqu'à la multiplication des fissures qui sonne le clap de fin. La piscine ferme. Mort de l'activité, de la passion devrait-on dire, pour les personnes du quartier dont cette Alice, vieille dame qui n'a déjà plus toute sa tête. le début de la fin pour elle, les fissures se propageant désormais dans son cerveau, à l'origine d'une démence qui la conduira tout droit dans un institut pour personnes âgées dépendantes.
Avec froideur et un certain cynisme, l'auteure nous raconte cet autre milieu dans lequel il faut rester dans sa ligne de nage, à savoir prendre ses médicaments à heures fixes, respecter les horaires de repas, manger ce qui nous est donné, éteindre pour dormir à heures fixes, avoir toujours la télévision allumée la journée, ne pas faire de vagues, sous peine d'octroi de sédatifs vous rendant enfin conformes aux exigences de cette piscine mouroir. Si l'allégorie peut paraitre intéressante, je l'ai trouvé quelque peu artificielle, tel un exercice de style poussif n'allant pas de soi.

Le ton est froid, tranchant, nerveux et nous comprenons peu à peu que Julie Otsaka parle de sa propre mère et surtout de sa culpabilité de ne pas avoir été présente lorsqu'elle allait encore bien, de l'avoir délaissée, d'avoir fermé la porte. C'est sa honte qui transpire derrière ce ton, ton qui m'a mise extrêmement mal à l'aise mais qui se comprend tant elle semble vouloir à la fois faire un devoir de mémoire vis-à-vis de sa mère, tout en désirant faire mention de sa culpabilité. «Tu lui a tourné le dos. Tu es devenue silencieuse, immobile, comme un animal. Tu lui as brisé le coeur et tu as écrit. Et maintenant à présent que tu es enfin de retour, c'est trop tard ».

De ce fait, elle dévoile dans un style clinique et glacial les dernières années de la vie de sa mère dans cet institut, de longs passages dans lesquels l'institut nommé Bellavista, semble informer sa patiente au sujet de son état :
«Il y aura – si vous avez de la chance – des jours entiers à passer. Peut-être finirez-vous comme Miriam, chambre 11, par marcher inlassablement dans les couloirs pendant des heures -Quelqu'un a vu ma brosse ? - Ou votre pas ralentira jusqu'à ce que vous trainiez les pieds d'un rythme régulier. Peut-être déciderez-vous de rester devant la fenêtre tous les après-midi après le déjeuner le temps de digérer, à regarder défiler les voitures (un des passe-temps préférés de beaucoup de nos résidents masculins). – Impossible qu'il s'arrête au feu ! – En règle générale, vous devez vous attendre à passer approximativement 32% de vos heures de veille à ne rien faire, 36% de votre temps de veille à ne faire presque rien, et le reste de votre temps libre à participer à des groupes d'activité modérée tels que le Cercle d'activité (optionnel mais tout à fait recommandé), le Jeu de quête (obligatoire), Attention à attention, des exercices cérébraux ainsi que la version gratuite de la machine à mémoire Souvenons-nous ».

Tout le livre est marqué par cette écriture énumérative, descriptive, des listes à la Prévert pour décrire les habitudes, les raisons, les conséquences, les interrogations, les règles. Une écriture qui ne permet pas l'empathie, qui ne laisse pas place à l'émotion. Si à chaque début de chapitre, ce style peut faire sourire et être agréable, il est de plus non dénoué d'humour, au bout de quelques pages cela devient quelque peu indigeste et répétitif.

« Là-haut, il y a des incendies, des alertes à la pollution, des sécheresses bibliques, des bourrages papier, des grèves des profs, des insurrections, des révolutions, des journées caniculaires qui semblent ne pas avoir de fin (Un « dôme de chaleur » s'installe de manière permanente sur toute la côte Ouest), mais là en bas, à la piscine, règne toujours la température confortable de vingt-sept degrés. le taux d'humidité est de soixante-cinq pour cent. La visibilité est bonne. Les couloirs de nage, calmes et en ordre. Les horaires, bien que limités, sont adaptés à nos besoins… ».

Les derniers chapitres du livre cependant sauvent l'ensemble et m'ont émue. le tout dernier chapitre notamment. le tout dernier paragraphe surtout. le ton froid laisse place aux souvenirs, aux relations entre cette mère et sa fille, à la place délicate du père face à la maladie de sa femme. Là seulement, dans ces derniers mots, je fus enfin réellement touchée…A se demander si tout ce qui précède est une sorte d'exutoire qui aurait permis à Julie Otsaka de renouer avec la mémoire maternelle. Espérons-le.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour cette Masse Critique privilégiée qui m'aura permis de replonger dans l'univers de Julie Otsaka que je n'avais pas relu depuis son très beau livre "Certaines n'avaient jamais vu la mer".
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