La mort n’est-elle pas la plus parfaite des évasions ?
-En voiture! En voiture!
Les larmes roulent maintenant sur les joues de l’enfant.
-Vous m’écrirez, papa, supplie-t-elle à son oreille d’une voix tremblotante.
-C’est promis, ma chérie. C’est promis. Je t’écrirai tous les mois. Allez, monte.
-Papa… je vous… aime tant! Avoue-t-elle finalement en enfouissant son visage dans son épaule.
-En voiture! En voiture!
Philippe, pressé par le regard impatient du contrôleur, lui suggère :
-Tu peux rester si tu veux.
-Non. Il faut que je parte. Je reviendrai, assura-t-elle en le quittant et en grimpant les escaliers.
Quelques secondes après, alors que le train s’ébranle pour de bon Philippe aperçoit le visage bouleversé de Mathilde derrière la vitre sale. Elle agite la main et lui la sienne. Léonnie fait de grands saluts à ses côtés en hurlant :
-Salut Mathilde. Bonne chance! Bonne chance!
Le visage s’éloigne, s’estompe et laissant Philippe tout dérouté sur le quai. Jamais il n’aurait présumé si vive et profonde l’affection de Mathilde à son égard. Jamais elle ne lui a manifesté le moindre arrachement. Et pourtant… Pourtant… Se pourrait-il qu’il n’ait pas su la comprendre, ou même, l’accepter ?
Le train n’est plus qu’un point noir sous un panache de fumée et Philippe jongle encore, l’air abasourdi. Pourtant… A sa façon, combien de fois lui a-t-elle dit : « Je vous aime » ? Par sa présence, son travail, son obéissance. Jamais il n’a eu à redire sur elle sauf qu’elle était trop parfaite. Trop logique. Trop froide. Et tout ça, c’était de l’amour silencieux, de l’amour inavoué et, quelquefois, douloureux.
-Pauvre enfant.
Cette élégante silhouette au maintien parfait lui cache-t-elle une ennemie, une alliée, une servante ? Comment pourra t-il se servir d’elle et le pourra-t-il ? Elle lui glisse entre les doigts comme la froide couleuvre. Où est son point faible? Tout lui appartient, la beauté et la force d’en faire le sacrifice, l’intelligence et le moyen de l’utiliser. Le sentiment de le dévoiler, où à qui et quand le sied de le dévoiler.
Le curé, avec sa longue soutane noire et son nez
crochu.
J’ai pris des courroies de cuir et j’ai flagellé Satan. J’ai flagellé Satan dans cet enfant.
Ah que vaut la parole de l’homme qui prétend être le représentant de Cheminatou (Dieu)?... la langue de
cet homme est fourchue et venimeuse.
Le vrai sacrilège : se fermer à la vie.
Les jours s’enfilent et se suivent sans se ressembler. Les plaies se referment ; l’oubli atténue la souffrance.
Comme les yeux savent parler quand il n'y a plus de mots.
Azalée dort, jambes écartées sur le fœtus expulsé. Il se précipite vers elle, tombe à genoux et s'empare de la masse sanguinolente. De doigts durs, il la dissèque et croit discerner un pénis quelque part.
-C'était un gars! C'était mon gars! finit-il par hurler en lançant dans la face d'azalée, éveillés par les premiers cris de Napoléon.
Elle s’assoit vitement et tente de reculer, effrayée. Elle sait ce qui l’attend. Il s’empare de ses poignets et les tord en la foudroyant de son regard dément.
-Maudite folle ! C’était mon gars! T’es pas capable de faire attention! Hein! Ma charogne!
Azalée ne profère aucune plainte et sursaute lorsqu’elle entend brailler Éloïse. Napoléon l’abandonne pour gifler l’enfant. Sa mère la reprend et se recroqueville sur elle.