AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dandine


Encore une relecture.

Les debuts m'ont un peu agace. J'ai senti qu'Oz se laissait aller vers trop de narcissisme, meme pour une autobiographie. Et je n'ai pas aime sa facon d'houspiller le mauvais lecteur qui "veut tout savoir, immediatement", et les mauvais journalistes: "Professeur Nabokov, avait questionne un jour une journaliste, en direct, a la television, are you really so hooked on little girls? A moi aussi, des journalistes enthousiastes me demandent, au nom du droit de savoir du public, si ma femme m'a servi de modele pour le personnage de Hannah dans Mon Michael [...] Pourquoi ces journalistes essouffles en ont-ils apres Nabokov et moi?"


Heureusement, au fil des pages, le narcissisme s'estompe jusqu'a disparaitre, et Oz enjambe les frontieres de l'autobiographie pour ecrire une biographie de ses parents, de ses grands-parents, et a travers ses ancetres une histoire des juifs en Europe de l'Est, une histoire de l'implantation juive en Palestine, du conflit qui s'ensuit avec les palestiniens, mettant l'accent sur Jerusalem. Une fresque monumentale, non lineaire, et pas simpliste ni simplificatrice, mais qui au contraire met en relief les debats d'idees sur l'essence de la societe israelienne et les diverses positions face au conflit. Ce qui en fait pour moi non seulement une des plus grandes oeuvres de la litterature israelienne, mais aussi une des grandes oeuvres de la litterature juive de tous les temps. J'exagere? Presque pas.


Oz est connu pour ses prises de position envers une paix juste, equitable envers les palestiniens comme envers les israeliens. Cela transparait dans son livre, dans beaucoup de pages differentes, et surtout une, ou il met dans la bouche d'un kibboutznik ce qui peut etre considere comme son credo: "Une nuit d'hiver je m'etais retrouve de garde en compagnie d'Ephraim Avneri. [...] Je demandai a Ephraim si, pendant la guerre d'independance ou les emeutes des annees trente, il lui etait arrive de tirer et tuer un de ces assassins. [..] --Des assassins? Mais qu'aurais-tu voulu qu'ils fassent? de leur point de vue, nous sommes des extraterrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit a petit. [...] Qu'est-ce que tu croyais? Qu'ils allaient nous remercier? Qu'ils nous accueilleraient en fanfare? Qu'ils nous remettraient respectueusement les cles du pays sous pretexte que nos ancetres y vivaient autrefois? En quoi est-ce extraordinaire qu'ils aient pris les armes contre nous? Et maintenant que nous les avons battu et que des centaines de milliers d'entre-eux vivent dans des camps, penses-tu vraiment qu'ils vont se rejouir avec nous et nous souhaiter bonne chance? [...] En 48 il y a eu une guerre terrible, et ils se sont debrouilles pour que ce soit eux ou nous, et on a gagne et on le leur a pris. Il n'y a pas de quoi etre fier! Mais si c'etaient eux qui avaient gagne en 48 il y aurait encore moins de quoi etre fier: ils n'auraient pas laisse un seul juif vivant. C'est parce que nous leur avons pris ce que nous leur avons pris en 48 que nous avons ce que nous avons aujourd'hui. Et c'est parce que nous avons quelque chose maintenant que nous ne devons rien leur prendre de plus. Si nous leur en prenons plus un jour, maintenant que nous avons quelque chose, nous commettrons un tres grave peche. -- Et si les fedayin debarquaient maintenant? --Dans ce cas, soupira Ephraim, ey bien, il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura interet a tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons egalement le droit de vivre et d'avoir un pays a nous."


Oz est un sioniste eclaire: pour que l'Etat juif ait un avenir, il faut que les palestiniens aient aussi un etat, viable (donc pas dans les frontieres etriquees que veulent leur destiner Netanyahu et Trump), ou ils pourront se developper normalement. Malheureusement ce ne sont pas les sionistes realistes comme lui qui sont au pouvoir aujourd'hui mais des fanatiques messianiques aveugles qui marchent a rebours de l'histoire et ne pourront apporter d'apres moi que tribulations et malheurs, a tous, a tous ceux qui vivent dans ce quartier de la planete.


Mais assez parle histoire et politique. Une histoire d'amour et de tenebres est avant tout et apres tout un tres beau livre, complexe, bigarre, bouleversant (et oui, je n'ai rien dit de la maladie, du suicide de la mere de l'auteur, qui sont de grands moments de ce livre, carrement dechirants), et ecrit par un maitre conteur, un tres grand artisan en litterature. Un livre qui transcende son cadre geographique pour devenir d'interet universel. Un livre que je conseille a tous. Un must.
Commenter  J’apprécie          617



Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}