Quand je me suis lancé dans
Une histoire d'amour et de ténèbres, une autobiographie imposante d'environ 850 pages, je craignais de me perdre dans la reconstitution d'une vie bien remplie. Heureusement, ce n'est pas le cas.
Amos Oz porte son attention (et celle de ses lecteurs) sur ses premières années, son enfance, son adolescence, un début de vie adulte. Un peu aussi sur ses racines, l'histoire de sa famille, avec des aïeuls tant paternels que maternels provenant de presque tous les coins de l'Europe de l'Est (Russie, Pologne, Lituanie, Galicie, etc.). Les membres de beaucoup de ces familles se sont retrouvés à Tel-Aviv, Haïfa ou Jérusalem au début du siècle dernier. C'est autant leur histoire qu'Oz raconte, et celle de quelques voisins qui deviennent des personnages colorés, chacun avec ses manies qui le rendent si particulier, mémorable. le premier qui me vient en tête, c'est la grand-mère avec son obsession de la propreté, dont la lutte contre les microbes imaginaires devenait épique, entre autres obligeant son mari à pulvériser au DDT tous les jours les coins de leur minuscule appartement.
Une histoire d'amour et de ténèbres porte bien son titre. Comme tout ouvrage de ce genre, surtout quand on remonte très loin dans les souvenirs, la magie de l'enfance ne tarde pas à faire surface. On y retrouve quelques anecdotes drôles ou attendrissantes, des événements anodins mais qui prennent une tournure extraordinairement dramatique. le premier qui me vient en tête, c'est quand il s'enferme involontairement dans le réduit d'une boutique et qu'un monsieur arabe réussit à le sortir de là, en pleurs. le jeune Amos grandit, vieillit, puis, sans crier gare, la narration revient en arrière. Au début, cela m'a agacé, j'avais l'impression de ne pas progresser. Toutefois, je me suis ravisé : ces retours en arrière, bien que nombreux, ne constituaient jamais (il me semble) une redite, on apprenait toujours quelque chose de nouveau qui permettait de jeter un éclairage nouveau sur un ou des personnages, sinon au cours des choses. Si cela a rendu le récit plus compliqué, il l'a aussi rendu plus intéressant que ne l'aurait fait une narration purement linéaire. du moins, c'est ce que je crois.
Évidemment, raconter l'histoire d'une famille juive, c'est aussi l'occasion de parler des pogroms en Russie au début du siècle dernier, de l'Holocauste, de la création de l'état d'Israël puis de la guerre contre les Arabes, aussi la vie dans les kibboutz. de tels événements marquent obligatoirement l'imaginaire d'un enfant, d'un jeune homme. Toutefois, s'il était présent (surtout pour les deux derniers), Oz n'a pas été directement impliqué. Incidemment,
Une histoire d'amour et de ténèbres porte davantage sur des épisodes plus personnels de l'auteur. L'amour, c'est sa famille, son entourage. Les ténèbres aussi, en grande partie. Les passages avec sa mère, surtout ceux qui précèdent son suicide alors que son fils n'a que douze ans, étaient émouvants.
Le dernier aspect qui m'a particulièrement plu dans
Une histoire d'amour et de ténèbres, c'est l'aspect littéraire. C'est ce que je scrute le plus dans l'autobiographie d'un écrivain. La famille Klausner n'était pas pauvre, mais pas particulièrement riche non plus. « Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? » (p. 42). C'est l'avantage de grandir dans une famille d'intellectuels et de lettrés. J'aurais aimé vivre dans un tel environnement. Dans tous les cas, cela a influencé le jeune Amos car, après son expérience plus ou moins réussie dans un kibboutz, il se tourne vers les études littéraires et commence à lire les grands auteurs. J'ADORE découvrir les influences des écrivains, c'est souvent l'occasion de renouer avec quelques auteurs ou de découvrir de nouvelles plumes, certaines de leurs oeuvres : Jabotinsky, Agnon, Luzzatto,
Tourgueniev,
Pouchkine, Schiller, Mazzini…
Au final, j'ai aimé beaucoup plus que je ne l'aurais cru cette autobiographie. Pour tout dire, je l'ai adorée.
Amos Oz livre un récit intimiste, auquel beaucoup peuvent s'identifier (je fais référence ici au contexte familial, pas à la situation politique), sinon tenter de se projeter. La plume est jolie et accessible, jamais je ne me suis sentie dépassée malgré l'environnement juif-Israélien qui m'est complètement étranger. La reconstitution de ce monde révolu fut un beau moment de lecture.