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Critique de 4bis


Rarement le titre d'un ouvrage ne m'a paru contenir autant le livre. Une histoire d'amour et de ténèbres : chacun de ces termes déploie en lui-même et dans sa relation avec les deux autres tout ce que contient ce roman autobiographique.

Je vous emmènerais bien comme le fait Amos Oz directement dans les méandres de l'appartement familial, à flanc de colline, dans le dédale obscur d'un couloir alourdi de livres. Chez son grand-oncle Yosef aussi, cet érudit qui pérore, pompeux et geignard dans un décorum de théâtre. Avec son père qui lit et pratique un nombre incroyable de langues mortes ou vivantes, ne supporte pas les silences et les comble de calembours étymologiques. Sa mère, mélancolique et rêveuse. Belle et fantaisiste. Sa mère qui se suicidera alors qu'Amos n'avait que douze ans. Mais il faudrait alors que j'ajoute à chaque anecdote, comme le fait Amos Oz, les dérivations, incursions, bifurcations qui contaminent l'ordre de la narration. Que je revienne en arrière en Europe, aux racines des familles maternelles et paternelles. Que je vous perde dans des discussions profondes ou hors sol tandis que la douleur s'écoule et qu'on n'en parle même pas. Que les attaques palestiniennes ripostent aussitôt à la résolution de l'ONU en faveur de l'Etat israélien. Que vous entendiez avec moi le contre-point de ce camarade du kibboutz qui met en perspective la réaction aussi monstrueuse qu'attendue des Palestiniens dont on a envahi les terres au nom d'une histoire de deux-mille ans et d'un génocide encore tout récent. Que la guerre et ses privations reviennent au-devant de la scène avec la lecture de milliers de romans, avec les premières amours d'Amos, ses batailles homériques sur le tapis de l'appartement, des boutons pour armées, lui en héros pour remettre le monde d'aplomb. Que je recopie l'intégralité du roman en somme.

L'histoire est racontée depuis 2001, époque où le narrateur est déjà plusieurs fois grand-père et peut, de manière sinon distancée, au moins apaisée interroger ses souvenirs, les hypothèses qu'il émet sur la chaine des causalités. On y gagne une peinture tout en détail de deux générations d'aînés meurtries par la guerre mais aussi habitées d'une soif de connaissance colossale. Amour et ténèbres car à l'impossible dire d'émotions empêchées se substitue le labyrinthique chemin des savoirs. En plusieurs langues, selon la taxinomie subtile d'exégètes que rien n'effraie. Dans un abyssal aveuglement pour la résonnance affective. Mais sans qu'il soit possible de dire qu'il aurait dû en être autrement.

Coupé dans son élan par la mort de sa mère, écoeuré par l'invraisemblable inadéquation d'une réponse livresque, Amos va tenter de s'inventer une troisième voie et de forcir ses muscles, de bronzer son teint blême dans le travail agricole d'un kibboutz. Il y finira écrivain, amoureux de la fille du bibliothécaire. On n'échappe ni à l'amour ni aux ténèbres.

On y gagne un vertigineux rapport à l'existence, un humour où le terre à terre taquine la métaphysique, une humilité radicale, riche pourtant d'une connaissance encyclopédique. On y gagne un roman dense, à la lecture parfois ardue mais toujours envoutante.

J'ai commencé cette lecture avant les attentats iniques du Hamas contre les populations civiles d'Israël. C'était étrange, à mesure que les jours passaient et que j'avançais dans ma lecture, de constater que ces histoires vieilles de plusieurs dizaines d'années n'avaient rien d'accompli et qu'elles résonnaient encore bien après qu'elles ont été couchées sur le papier. C'était doux-amer de lire le caractère inextricable de la situation déjà si bien dépeint dans ces pages. Peut-être la meilleure manière de bercer mon impuissance et d'embrasser dans un même hommage les victimes de ces inéluctables et intolérables conflits.
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