Ce n'était pas une blessure morelle, et il était agréable d'avoir Laurent pour s'occuper de lui. L'idée qu'il lui faudrait tenir le lit des journées entières, aux bons soins des médecins, était plus facile à supporter en sachant que Laurent resterait à son chevet à formuler des remarques piquantes en public, et à faire preuve d'une tendresse inédite en privé.
L'enfant n'est pas de toi, mais il est en sécurité. Dans une autre vie, il aurait été roi.
Je me souviens de la façon dont tu m'as regardée, le jour où nous nous sommes rencontrés. Cela aussi, peut-être dans une autre vie.
C’était à Damen de jouer, à présent. Il lui sembla à son retour que les chariots étaient encore plus lents qu’avant son départ. Même à l’allure la plus rapide, le convoi semblait figé dans une langueur indolente. Damen mettait toute sa volonté au service des chevaux pour qu’ils les tirent plus vite, mais il se donna l’impression de hurler à des escargots de se mettre à courir.
— Comment peux-tu me faire confiance après ce que t’a fait ton propre frère?
— Mon frère m’a menti toute ma vie, répondit Damen. Mais toi, tu es quelqu’un de sincère. Je n’ai jamais vu plus sincère que toi. (Aucun d’eux ne bougeait d’un cheveu.) Je crois que si je t’offrais mon cœur, tu saurais faire preuve de tendresse.
Ce n'est pas être naïf que de faire confiance à sa famille.
Le simple fait de camper si près des forces vérétiennes aiguisait la nervosité des soldats. Ceux-ci avaient organisé un nombre excessif de patrouilles, et les sentinelles avaient toutes les sens en alerte. Si un vérétien avait le malheur de pisser de travers, l'armée tout entière se jetterait sur lui.
Laurent dégagea ses épaules et retira la cape. En dessous, il portait une sorte de tenue de nuit vaskienne, une tunique et un pantalon en lin blanc très fin, avec un laçage peu serré sur le devant.
_ Le mien est un peu plus couvrant. Es-tu déçu ?
_ Je le serais, rétorqua Damen en repositionnant ses jambes, s'il n'y avait pas une lampe derrière vous.
DAMEN EMBRASSA DU REGARD L’ÉTENDUE DU CHAMP DE BATAILLE. L’armée du régent était une déferlante de rouge sombre s’écrasant contre leurs lignes, les troupes se mêlant comme une rivière de sang se déversant dans un cours d’eau, puis se diluant. Tout n’était plus que destruction infligée par un flot sans fin d’ennemis si nombreux qu’on eût dit un essaim.
Mais il avait vu à Marlas comment un homme seul pouvait maintenir un front uni par la seule force de sa volonté.
— Tueur de prince ! hurlaient les soldats du régent.
Ils avaient commencé par tous converger dans sa direction, mais lorsqu’ils avaient vu ce qui arrivait à ceux qui s’approchaient de trop près, ils avaient reflué dans un tonnerre de sabots.
Ils n’allaient pas bien loin. L’épée de Damen mordait armures et chair ; il repérait les nœuds de commandement et les anéantissait, dispersant les formations avant qu’elles se mettent en place. Un commandant vérétien le défia, et il s’autorisa une passe en règle avant de lui trancher le cou.
Un royaume, ou ce moment ?
Ce fut donc ainsi que Damen se retrouva autour d’une table en compagnie de marchands vérétiens dans une auberge akielonienne, à parler chiffons.