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Critique de Patsales


Qui est l'homme qui aimait les chiens? Car personne ne les déteste dans ce roman. Ni Trotski, éternel errant, explorant chaque interstice du piège qui se referme sur lui pour exister encore politiquement, tandis que Staline écrabouille ceux qui le soutiennent encore, et d'abord ses enfants. Ni Ramón Mercader, idéaliste aux idéaux agonisants, qui tue Trotski comme Lorenzaccio tue Philippe de Médicis, parce qu'il n'est plus que ce meurtre pour justifier sa propre existence. Ni Iván l'écrivain d'autant plus raté qu'il n'écrit plus depuis que l'art doit être le fer de lance de la révolution.
« L'homme qui aimait les chiens » est d'abord une nouvelle de Chandler qui donna son nom à un prix que Padura obtint quelques années avant la parution de ce roman. le braqueur à l'origine de ce titre justifie ses crimes par l'amour qu'il voue à une tendre jeune fille. « Elle n'était plus là, dis-je. Tu étais juste assoiffé de sang. Et si tu n'avais pas gardé ce chien jusqu'à ce qu'il tue un homme, ton protecteur n'aurait pas été poussé par la peur à te dénoncer.
— J'aime les chiens, dit Saint posément. Je suis un brave type en dehors du boulot mais il ne faut pas trop me marcher sur les pieds. »
Dans le roman de Padura, les chiens ne tuent pas. Mais les hommes s'y trouvent aussi de complaisantes excuses pour sauver une révolution qui leur fait les yeux doux et qu'ils invoquent moins pour justifier leur soif de sang que leur désir d'être quelqu'un. Chantres d'un communisme égalitaire, Mercader, comme Trotski, veulent pourtant marquer L'Histoire et s'élever au-dessus du vulgum pecus. Car les chiens du titre sont des lévriers borzois, chiens de race, chiens des rois et des tsars, seuls et uniques vestiges d'un sacre qui n'eut pas lieu.
Padura tient la chronique précise de ses deux personnages. Il ne nous épargne aucun détail, aussi inflexible dans sa quête de la vérité qu'un chef-décorateur sur un film en costumes. S'il ensevelit Trotski et Mercader sous le poids de l'histoire, c'est pour mieux les maudire. Et notre coeur, à nous lecteurs, ne s'émeut que pour Iván, narrateur malgré lui, héraut mezzo voce d'une génération sacrifiée.
« Car le rôle d'Iván, c'est de représenter la masse, la foule condamnée à l'anonymat [...]. Lui, [la compassion], il la mérite totalement : il la mérite comme toutes les victimes, comme toutes les créatures tragiques dont le destin est commandé par des forces supérieures qui les dépassent et les manipulent au point de les anéantir. [...] Que Trotski aille se faire foutre avec son fanatisme obsessionnel et son complexe de personnage historique, s'il croyait que les tragédies personnelles n'existaient pas et qu'il n'y avait que des changements d'étapes sociales et supra-humaines. Et les personnes, alors? »
Les personnes ont trouvé refuge dans le roman. Trotski et Mercader ne seront que des personnages historiques, des entrées d'encyclopédie dont nous retiendrons peut-être le nom mais qui resteront des figures de cire, à nos coeurs indifférents.
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