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Critique de Arakasi


Le vieux Pique-Bouffigue est mort. Il s'est fendu le crâne en tombant d'un arbre – dit-on – et personne dans le petit village des Bastides Blanches ne regrettera la présence de cet asocial grossier et querelleur. Au contraire, certains pourraient même s'en réjouir car le vieux laisse derrière lui une très belle terre arrosée par une source cachée dans les massifs de thym. Et cette jolie petite terre ferait bien l'affaire des Soubeyran, la famille le plus aisée de la région, dont le dernier descendant, Ugolin, s'est mis en tête de débuter le commerce des oeillets, entreprise lucrative mais très coûteuse en eau. Certes, la terre revient aux héritiers de Pique-Bouffigue, mais ceux-ci sont des parisiens et probablement peu désireux d'aller se perdre au fin fond de la Provence…

Manque de chance, l'héritier en question, Jean Cadoret, est un original, un amoureux de la Nature frustré dans son travail peu reluisant de percepteur des impôts. Non seulement il refuse de vendre le terrain mais décide de s'y installer avec sa femme et sa fillette pour y commencer un ambitieux programme d'élevage de lapins ! Si César Soubeyran, « le Papet » de la famille, ne doute pas de l'échec du projet du « fada » citadin, il n'en grince pas moins des dents et décide d'aider le sort en bouchant discrètement la source du terrain avec son neveu Ugolin. Pas de source, pas d'eau. Pas d'eau, pas de lapins. Pas de lapins et au diable les parisiens ! Mais Jean Cadoret s'obstine : malgré la sécheresse et l'hostilité des villageois, il lutte pour réaliser son rêve et se tue à la tâche, sans comprendre que ses malheurs ne viennent pas tant de la rigueur des éléments que de la froide et calculatrice méchanceté des hommes.

Je reconnais avoir commencé ce roman avec une vision un brin condescendante de l'oeuvre de Marcel Pagnol… Je l'ai tant de fois entendu présenter comme le chantre de la Provence, l'amoureux des champs verdoyants et du chant des cigales, que je m'attendais à lire un roman gentiment bucolique, un poil passéiste et dégoulinant de bons sentiments. Et j'ai le plaisir de dire que je me fourrais le doigt dans l'oeil jusqu'au coude ! Déjà, pas de longues descriptions lyriques chez Pagnol, comme on aurait pu légitimement s'y attendre : la Provence est bien présente, mais seulement comme un arrière-plan aux apparences idylliques dont la beauté fait ressortit par contraste la mesquinerie des comportements humains.

Car ils ne sont pas très aimables, les paysans de Pagnol… Rudes, égocentriques, d'une méfiance paranoïaque envers les étrangers, capables d'une cruauté étonnante par bassesse ou pure indifférence, ils n'inspirent guère la sympathie au premier abord. On est très loin d'une vision paradisiaque de la campagne et de ces joyeux habitants ! le personnage de Jean est traité avec plus de douceur, malgré sa naïveté presque agaçante, et sa foi profonde en la bonté de ses semblables ne peut que susciter la pitié, surtout quand on voit comment cette foi est récompensée. Loin d'être un joli conte pour enfant, « Jean de Florette » est donc un roman plutôt dur, lucide mais sans férocité sur la nature humaine, et qui prendra même des airs de tragédie grecque dans sa suite directe, « Manon des Sources ».
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