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Critique de Tubabasse


Il est de bon ton, dans certains milieux littéraires, de snober Pagnol.
Forcément, un homme qui a obtenu autant de succès, ça doit en défriser un paquet, qui en ont parfois écrit autant en quantité, et tellement moins en best-sellers.
Dans l'oeuvre variée qui est la sienne, sans omettre au passage les pièces de théâtre et les scénarios de film, Manon des sources occupe une place particulière. Pagnol a réalisé le film avec son épouse Jacqueline, plus belle que jamais, en 1952, mais le diptyque réunissant Jean de Florette et Manon des sources, sous le titre général « L'eau des collines », ne sera développé, lui, qu'une dizaine d'années après, pour être finalement publié en 1963.
Le propos se voit d'une cruauté sans pareille. Deux paysans, l'un et l'autre sans descendance, issus d'une famille puissante et réduite à ces deux êtres à la suite de consanguinité et d'avarice en majeure partie, vont, par intérêt, ruiner la vie d'une famille paisible. Frustres mais madrés comme un cent de renards, ils vont exécuter un plan simple, boucher une source qu'ils savent sourdre à un endroit bien précis. C'est que l'eau, dans la Provence agricole de l'époque, ce n'est pas rien.
Chacun joue parfaitement son rôle, parmi les deux affreux. Il y a le cerveau, le vieux, intéressé et cynique, et l'exécutant, son neveu, moche comme trente-six poux, et affecté, lui, d'un semblant de sensibilité. Ça le perdra.
Autour d'eux, un village entier, constitué de paysans rudes, menés pour la plupart par leur intérêt propre. Ils parlent autour d'un verre, certes, mais gardent pour habitude de ne pas se mêler des affaires des autres. Ou alors le moins possible. Sauf quand l'histoire va les regarder. de près.
Et puis, il y a la famille de Manon ; la mère de la petite fille est cantatrice, son père employé de perception. le pauvre affiche une bosse, on saura à la fin pourquoi. Ce papa, Jean, se voit débonnaire, accueillant, naïf. On le surnomme Jean de Florette, car c'était le prénom de sa mère. Son épouse suit son homme. Elle l'aime. Leur petite est ravissante. Un ange égaré dans la garrigue.
Pagnol a bien organisé son affaire, même si un manichéisme basique préside à la construction. le Papet et Ugolin, son neveu, sont capables de faire n'importe quoi pour du profit, et le livre débute par un crime, ni plus ni moins. Certes, la victime semble moyennement recommandable. Une espèce de marginal un rien atrabilaire. Et ça tient aussi de l'accident. Mais quand même. Ça démarre fort.
L'écrin de l'histoire est sublime. Des collines inondées de lumière, des vallons giboyeux, des senteurs de romarin et d'herbes sauvages.
Entre le moment ou Manon, arrivée fillette, est devenue une jeune femme superbe, on ne sait pas grand-chose. La mère est vraisemblablement repartie chanter aux quatre coins du monde, une piémontaise un peu rude, qu'on dit un peu sorcière, vit avec la petite, devenue sauvageonne. D'ailleurs, dans la version du film de 1952, elle s'exprime en patois provençal. On la verra beaucoup moins dans la version filmée de Claude Berri, sublime pourtant avec ses champs d'oeillets d'un rouge profond. Rouge comme le sang, comme la passion, comme la teinture de garance qui fit tuer nombre de nos soldats, tant on les voyait arriver de loin. Ce n'est pas le meilleur héritage que la Provence a laissé au pays.
L'ambiance est presque celle d'un western-spaghetti. Les personnages parlent peu. Beaucoup affichent des visages marqués, tannés par le soleil et la vie dehors. Pas très beaux, dans l'ensemble.
Même si ce qui s'est passé est affreux, il n'y aura pas de justice, au sens humain du terme.
Ugolin, Galinette comme se plaît à le surnommer son oncle, et le Papet ne vont rendre des comptes que dans l'au-delà. Et d'ailleurs, sans crainte. le vieillard annonce la couleur, il assumera ses actes, même les pires.
Sous la plume de l'écrivain marseillais, tout paraît simple, fluide, naturel, comme aurait dit Marius à son père dans une autre oeuvre.
Personnellement, je trouve tout cela remarquable. L'ensemble dégage à jamais une force intacte. La caractérologie des personnages s'avère étonnante. Ils y passent tous, le cafetier grande gueule, le vieux bigot, l'instituteur, cultivé et discret, qui passe bien auprès de ses voisins moins instruits que lui, tout simplement parce qu'il est du pays, ce qui vaut tous les passeports du monde. Dieu est même présent, mais enfin, surtout quand on en a besoin. Après le travail et le profit. C'est cependant le curé qui fera remarquer aux villageois, que, s'ils avaient averti le père de Manon de la présence de la source, celui-ci n'aurait pas perdu la vie en cherchant de l'eau.
C'est vrai que, sous le soleil, la misère est, dit le poète, moins pénible.
Il fallait au moins ça pour faire passer ce tissu d'horreurs et de non-dits ?
Mais non ! L'oeuvre, malgré tout, est remplie d'amour. Compliqué, certes. le Papet aime son neveu, avant tout parce qu'il est le dernier de sa grande famille. le vieux ne se créée pas d'illusions. Ugolin Galinette ne représente pas ce qui se fait de mieux pour terminer une dynastie. L'achever serait peut-être au passage le terme le plus adéquat. Mais il l'aime, à sa manière, avant tout parce qu'il le faut. Dans les valeurs de son clan, qu'il considère au-dessus des autres clans paysans de la contrée, on doit aimer sa famille. On peut tromper son épouse, tricher sur le poids du blé, et j'en passe, mais la famille, c'est sacré. Les autres ne sont pas sensés savoir ce qui se passe à l'intérieur de celle-ci. le principal reste surtout d'éviter de se faire prendre. On pourrait penser que ce vieil agriculteur recuit est incapable d'aimer, mais non. Son amour de jeunesse est même à la base de toute cette sordide histoire. La force du Papet, et ce qui ne le rend pas totalement abject, est qu'il accepte le destin comme il est. Ce qui est fait est fait, de toute façon, cela ne sert à rien de revenir dessus. Ça constitue la base d'une sagesse simple. Voire simpliste.
Après tout, c'est le hasard qui a tout mis de traviole. Et là, c'est très fort, de balancer ça, entre deux répliques de personnes âgées, sur un banc de bois, presque à la fin de l'histoire.
Manon, elle, ne l'entendra pas de cette oreille. Mais là aussi, l'amour pansera, en partie, son immense blessure. Enfin, on le suppose. Ou on l'espère.
La première fois que j'ai lu L'eau des collines, j'avais une douzaine d'années et j'ai commencé, sans le savoir, par Manon des sources. Ce n'était pas si désagréable que ça de savourer Jean de Florette après. Ensuite, j'ai relu, dans l'ordre, le récit. Plusieurs fois. Vu aussi. À l'envers encore, puisque Claude Berri est passé pour moi avant le film de 1952. Décidément ! Je possède une jolie version des deux livres, dans l'édition Pastorelly, avec les dessins de Suzanne Ballivet, que j'adore. Je n'ai pas relu le livre dans cette version, je me contente de contempler les images, de temps en temps, comme un gamin. le livre est même dédicacé par la grande artiste, seconde épouse de Dubout, lui aussi grand ami de Pagnol. J'avoue que j'aurais bien aimé aussi avoir un petit mot de l'auteur à l'intérieur. Mais bon !
Merci quand même Marcel !
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