Citations sur Le village retrouvé (9)
Une mélancolie vague engourdissait Isidore. Il pensait que la vie qu’il menait et que tout le monde lui enviait avait un goût amer : celui de la déception…
Isidore, le cœur serré mais les yeux secs, ne cessait de répéter dans sa tête : « ma mère est morte, ma mère est morte ! » Il était étonné de sentir ce gros poids sur l’estomac, lui dont sa mère ne s’était jamais occupée… Il croyait l’entendre encore lui lancer une méchanceté au visage… Et pourtant, il avait mal comme il n’avait jamais eu mal au cours de sa vie…
Nous, on a rien eu et pourtant, on s’en est tiré mieux qu’eux… Alors, écoute-moi bien : laisse-les déverser leur bile ; ils ne peuvent rien contre toi !
Ce pays lui avait pris son âme et, maintenant qu’il était revenu, il était pieds et poings liés, impuissant à partir, impuissant à abandonner cette vallée rongée par le froid de l’hiver qu’il avait reconnue, un soir d’automne, au soleil couchant, quand il avait posé son sac et s’était assis au pied d’un arbre pour admirer un panorama dont le souvenir ne l’avait jamais quitté.
Je regrette, madame, fit-il en retrouvant ses esprits, j’ai juste essayé de m’occuper de ma mère qui, jusqu’à ce jour, vivait de votre charité et de renouer, çà et là, des liens rompus par le temps.
— Vous avez aussi déclaré vouloir acheter la plus belle ferme du pays.
— Je ne savais pas que c’était interdit », fit-il avec plus d’amertume qu’il n’eut voulu.
La comtesse éclata de rire : « Bien sûr que non ce n’est pas interdit ; mais vous avez constaté par vous-même qu’il y a certaines lois occultes qui sont plus dures que les lois officielles. »
S’il achetait la ferme, ce serait pour y installer sa mère ; mais que ferait-elle dans cette immense maison ? Peut-être même refuserait-elle d’y habiter. Elle avait des préjugés d’autrefois, ceux où chacun doit rester à sa place : les nobles et les riches dans les châteaux et les belles maisons, les pauvres dans les masures...
Pierre est parti à Paris. Il paraît que, là-haut, il y a de l’argent facile à gagner. Lui, comme toi, trouvait que la terre était basse. Je n’ai plus de ses nouvelles ; mais, peut-être, comme toi, il reviendra un jour pour venir me reprocher de l’avoir battu !
Lui Isidore on le supportait, s’il n’était pas trop exigeant, mais il devait obéir au doigt et à l’œil et faire tout ce que commandait Boudif ou sa mère sinon les coups pleuvaient. Il s’était toujours demandé comment un homme chétif comme Boudif pouvait taper si fort. Obligé de plier, il avait dû supporter les caprices du couple sans rien laisser paraître mais il était bien décidé à se venger un jour.
Il réfléchit : hier, c’était une bonne vingtaine d’années, presque trente à bourlinguer à droite et à gauche, à s’user la santé dans des pays aux climats étranges qui vous amollissaient la peau et vous sortaient toute l’eau du corps vous laissant épuisé comme une vieille femme…