Gillian faisait partie de ces lecteurs voraces qui croyaient que bien écrire était comme décorer un carrosse. Cette conviction avait pour résultat une écriture léchée, peuplée d'ornements grotesques et de démonstrations verbales qui s'étranglaient dans la gorge. Quand il eut atteint la dernière page, Wells ressentait des nausées esthétiques. Ce roman ne méritait pas d'autre destin que le feu de la cheminée et même, si les voyages dans le temps étaient à l'ordre du jour, il serait obligé de voyager vers le passé et de détruire les mains de cet individu à coups de massue avant qu'il ne rende infâme le devenir de la littérature avec cet avorton. 462-463
La véritable littérature devait remuer le lecteur, lui faire mal, modifier sa perception des choses, le jeter d'une poussée précise de la falaise de la clairvoyance.
... car c'est ce que nous offrent les voyages dans le temps, après tout, une deuxième chance, en revenant en arrière et en choisissant l'autre option.
Pour elle, son époque manquait d'attrait, d'émotion, bref, l'ennuyait.
Vous êtes-vous un jour demandé ce qui rend les hommes responsables ? Je vais vous le dire : le fait qu'ils n'aient qu'une occasion de faire chaque chose .
Spéculer sur ce que serait le monde de demain ou débattre des événements du passé qu'il fallait modifier devint le passe-temps préféré de d'Angleterre, le meilleur moyen d'égayer l'heure du thé.
Il se décida finalement pour un élégant Colt à la crosse en nacre fabriqué en 1870, qui saurait lui ôter la vie avec la délicatesse d'une caresse de femme.
Quelle étrange alchimie faisait-elle paraître la copie plus extraordinaire que l'originale ? La réponse était évidente : c'était le passage du temps, qui transformait le bouillonnement du présent en ce tableau achevé et inaltérable qu'on appelle le passé, une toile que l'homme peignait toujours dans l'obscurité, avec des touches disséminées qui ne prenaient tout leur sens que lorsqu'on s'en éloignait suffisamment pour admirer l'ensemble.
Je viens de découvrir que le moment choisi pour faire irruption dans la vie de l’écrivain Herbert George Wells n'est pas le bon. Pour ne pas trop le déranger , je pourrais vous en fournir une description physique en vous disant que l’écrivain renommé était un jeune homme pâle qui avait connu des jours meilleurs. Mais parmi les nombreux personnages qui pullulent dans l'aquarium de cette histoire, Wells est, probablement malgré lui, celui qui va intervenir le plus souvent, ce qui m'oblige à être un peu plus précis au moment de brosser son portrait. Hormis sa minceur étonnante et la pâleur morbide de sa peau, Wells s’était laissé pousser une moustache a la mode, fine et aux pointes recourbées, trop grande, lourde et incongrue pour son visage enfantin. La moustache en question se refermait comme une menace sur une bouche au tracé délicat et un tant soit peu féminine, laquelle, alliée à ses yeux clairs, composait une expression que l'on aurait pu qualifier d'angélique, n’était le petit sourire espiègle qui planait a ses lèvres. En résumé, Wells ressemblait à une figurine de porcelaine, et il possédait un regard enjoué derrière lequel s'agitait une intelligence vive et aiguë. Pour les amateurs de détails ou ceux qui manquent d'imagination, j'ajoute qu'il pesait une cinquantaine de kilos, chaussait du quarante-trois, se coiffait avec une raie marquée sur la gauche et que son odeur corporelle, généralement fruitée, présentait aujourd'hui une légère touche de sueur fermentée, car il avait, quelques heures plus tôt, parcouru avec son épouse les chemins vicinaux du Surrey sur un tandem, invention a la mode qui avait immédiatement conquis le cœur du couple car elle n'avait pas besoin de fourrage ni d’étable et ne quittait jamais le lieu ou on la laissait. Je ne peux guère en dire davantage sans tomber dans la vivisection où des détails intimes tels que la modeste envergure et l'inclinaison sud-est de son membre viril.
Si personne n'était là pour le signaler, le temps n'était rien, absolument rien.