Citations sur Istanbul : Souvenirs d'une ville (58)
Incroyablement beau.
Deux pêcheurs sur une barque discutent, au loin un pont, une mosquée, des minarets. Les reflets de l'eau, de la fumée, des nuages. Bien difficile de rendre l'extrême beauté (des superlatifs non usurpés, croyez-moi !) de ces photographies d'Ara Güler datant des années 1950-1960, devenues iconiques de cette ville qui a la nostalgie facile. Editée dans un superbe livre préfacé par, excusez du peu, Orhan Pamuk. Personnellement j'ai acheté le livre rien qu'après avoir flashé sur la beauté de la couverture. Et je suis allé de merveille en merveille.
Le livre présente des dizaines de photographies toutes plus belles et poétiques que les autres, d'une beauté particulièrement accessible. Et le livre peut être vraiment un magnifique cadeau pour un amoureux d'Istanbul, ou pour quelqu'un qui reverrait d'y aller.
Un livre par ailleurs, je le redis très très joliment édité.
( Attention cependant la critique de cet ouvrage parfois sur Babelio se mélange, sans que j'ai pu rien y faire, avec celle d'un ouvrage autobiographique d'Orhan Pamuk qui a pour couverture une photo d'Ara Guler. Mais ce sont deux livres bien distincts !)
J’avais l’impression que c'était parce qu'ils étaient pauvres qu’ils invoquaient sans cesse le nom de Dieu. Mais la manière dont on parlait à la maison, d’un air mi-stupéfait mi-méprisant du caractère par trop dévot de quelqu’un et du fait qu’il fît ses cinq prières par jour avec le même air interloqué qu'on aurait eu en face d'un autre tout frais debarqué de son village aurait pu m'amener à une conclusion totalement inverse : c’était peut-être parce qu’ils croyaient autant en Dieu qu’ils étaient restés pauvres.
Attachement à une demeure ? Peut-être. Parce que cinquante après, je vis encore dans le même immeuble. La maison, pour moi, est importante moins pour la beauté de ses pièces et de ses objets que parce qu’elle est un centre de mon univers spirituel. Mais derrière ma tristesse, il y a la perception indirecte, confuse et enfantine des disputes entre mes parents, de l’appauvrissement dû aux faillites incessantes de mon père et de mon oncle, ainsi que des grands conflits de propriété au sein de la famille. Au lieu d’assumer ma peine dans sa totalité et son accomplissement, de lui faire face, d’en exprimer au moins la douleur en en parlant directement, je l’avais transformée en un mystérieux sentiment, par des jeux de tromperies, d’oublis et de changements de points de vue de mon esprit.
Une autre maison : Cihangir
La peinture, l’art, la création, ce sont les Européens qui peuvent prendre de telles choses trop au sérieux, semblait dire ma mère. Mais nous, qui vivions à Istanbul dans la seconde moitié du XXe siècle, nous appartenions à une culture dépossédée de sa richesse d’autrefois, appauvrie, en perte de puissance, et dont la volonté et l’élan s’étaient affaiblis. Je ne devais jamais m’ôter de l’esprit qu’ « Ici, il n’y aura jamais rien de bon », sinon, je n’aurais qu’à m’en prendre à moi-même.
(pages 426-427)
C’est pourquoi l’arrivée à Eyüp sonna la fin de la tristesse que j’avais éprouvée avec bonheur ce jour-là au cœur du paysage de la Corne d’Or, tissé de ruines et d’histoire. Et je réalisais progressivement que j’aimais Istanbul à cause des ruines, de la tristesse, et des richesses d’autrefois désormais perdues.
(page 422)
Contempler les panoramas de la ville en marchant dans la rue ou en se promenant en bateau, c’est faire fusionner ce qu’on voit avec les sentiments que procure Istanbul ; mais observer en se promenant les perspectives d’une rue ce n’est pas seulement ça, c’est en même temps pouvoir faire coïncider l’état d’esprit dans lequel vous vous trouvez avec les vues que vous offre la ville.
(pages 411-412)
Je sentais qu’elle m’aimait beaucoup plus que je ne le croyais, et ses tremblements pendant l’amour et les larmes sur son visage augmentaient la souffrance accumulée dans mon cœur et la puissance de cette douleur qui m’envahissait me rendait incapable de faire quoi que ce soit.
(page 404)
Cependant, ce qui est important pour un peintre, ce n’est pas la réalité des objets, mais leurs formes, pour un romancier, pas la chronologie des événements, mais leur articulation, et pour un écrivain qui écrit ses souvenirs, ce qui importe, ce n’est pas la réalité du passé, mais sa symétrie.
(page 351)
C’est surtout à Istanbul que les voyageurs doivent oublier qu’une ville n’est pas seulement faite de ses paysages, mais aussi des scènes qui se produisent à l’intérieur des maisons.
(page 332)
Une fois que la nuit était complètement tombée et que le Bosphore et le ciel s’étaient imprégnés d’une séduisante couleur bleu foncé, je ne voyais plus, dans les autres fenêtres des autres maisons orientées vers le Bosphore, le reflet de son paysage où naviguait le bateau reliant Besiktaş à Üsküdar, ni celui des fumées rejetées par d’autres bateaux ; c’était le reflet de notre appartement que j’y voyais, éclairé par la lumière orange de ce lampadaire.
(page 332)