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Critique de Macabea


En 1961, Moravia et Pasolini font ensemble un voyage: l'expérience de l'Inde. Deux sensibilités, un voyage, deux récits. Moravia publie chez Bompiani, L'idée de l'Inde, un livre admirable, récit dépassionné, écrit à froid, désabusé, mais pas insensible. L'Inde le bouleverse, l'afflige: le laisse perplexe, sans voix. Nos outils épistémiques habituels deviennent soudain futiles, inopérants. le filet sécurisant de nos théories explicatives est rompu, on n'est plus soutenu par rien. Rien ne nous protège contre la laideur et la misère, contre l'arbitraire de la souffrance. Nous sommes face à face avec nos propres frayeurs et nos fragilités. Bannis de notre réconfortante zone de confort, nous sommes nus et désarmés - lâchés dans l'arène aux lions - dans l'effroi confondant et inexprimable de la misère sociale. le récit de Moravia exprime ce malaise. Il fait un effort soutenu, parfois inutile, de trouver un sens, cherchant à reconstituer le contexte, qui le permettra de surmonter, d'amoindrir l'impact de ce voyage, épreuve, qui sans doute est aussi pour lui une remise en question de ses principes, de son mode de vie et de son métier. On ne revient pas indemne de l'Inde, où le réel est tout sauf rationnel et où, la rationalité est peu de chose face à la réalité. L'effort de penser est peut-être une ultime tentative de contrôle. Pasolini dépasse ce dilemme, ne se laisse pas prendre au jeu desséchant de l'intellect. Chez lui, l'empathie a le dernier mot. Il sait que la compassion et la tendresse seuls peuvent faire des miracles. Mais au-delà des différences, les récits se croisent et se complètent: les deux amis ne sont pas indifférents à ces cohues de gueux et de quémandeurs, d'enfants et de femmes, qui ne leur tendent même pas la main et que même en ignorant leur langue, ils comprennent. Mais des deux, Pasolini est encore le plus touchant, parce qu'il se laisse toucher. Plus vulnérable et plus affectueux aussi. Il s'expose plus, se protège moins, tout en gardant une candeur et une confiance indéfectibles. "Rien n'est plus violent que la douceur", écrivait Nicolas de Staël. Il en est question justement dans L'odeur de l'Inde: une douceur qui se laisse contaminer par la pitié et qui vite devient insoutenable. Un grand livre.
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