Citations sur La Civilisation du poisson rouge (83)
L'ensemble des écrans a fini par obéir aux stimuli de l'attention. Les alertes d'information scandent notre vie. Sur YouTube, les vidéos s'enchainent dans un ordre établi par la machine pour maintenir l'utilisateur accro. Une enquête du Wall Street Journal de 2018 a affirmé que l'algorithme de recommandation suggérait, à chaque étape de visionnage, une version un peu plus « intense » de la vidéo précédente. Ce qui, dans le domaine politique et social, conduit assez vite l'utilisateur dans une galaxie de contenus extrémistes. S'est développée, aux États-Unis, la théorie grinçante des trois degrés qui nous séparent d'Alex Jones, le conspirationniste prétendant que la tuerie de Sandy Hook n'a jamais eu lieu : quoi que vous regardiez sur YouTube en termes de vidéo d'actualité, vous tomberez, au quatrième clic, sur un contenu complotiste.
La lecture, celle qui prend du temps, qui égare le lecteur dans ses pages manquantes, déploie ses univers intimes et prodigieux, n’est pas épargnée par la quête de l’attention. Le livre, comme activité économique, résiste. Mais le temps consacré à la lecture par les plus jeunes s’effondre. Malgré le raccourcissement des chapitres, et l’introduction, dans la littérature adolescente, des cliffhangers venus de la série télévisée. Notre vie culturelle et intellectuelle est devenue stroboscopique. – p.82
Mais il traduit également la crainte de l’époque, autrement plus profonde. Ce parcours fléché est la matérialisation des algorithmes qui, en permanence, nous guident dans nos parcours et nos décisions : les suivre aveuglément en croyant à leur promesse d’optimisation a fait de nous des somnambules. – p.84
Nous sommes devenus les mines à ciel ouvert que forent les outils numériques à chaque fois que nous les utilisons. Et ce forage devient de plus en plus profond. La surveillance de nos vies est l’extension « naturelle » de la publicité ciblée. – p.78
Deux décennies plus tard, le constat est sans appel : la foule est bien là. La sagesse, pourtant convoquée, ne s’est pas présentée. Dépendant aux écrans, outrance du débat public, polarisation de l’espace public, réflexes qui prennent le pas sur la réflexion, l’agora transformée en arena : telle est notre époque. C’est le meilleur des temps, c’est le pire des temps. – p.49
Dans la quête du temps de cerveau des humains, le graphisme des utilisateurs, l'UX Design, est devenu une arme économique d'autant plus efficace qu'il transforme une habitude en addiction. Dans sa version la plus agressive à l'encontre du libre arbitre, la conception des interfaces qui cherche à produire de la dépendance est appelée, presque cinématographiquement, dark design, le design obscur. Elle vise une forme de piratage du cerveau, le brain hacking. Les géants de l'Internet l'utilisent dans un mode concurrentiel qui s'apparente à une course aux armements.
Seule l'erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule.
Moins on sait, plus on affirme, et plus on affirme, plus on est visible sur la structure asymétrique des réseaux numériques.
Les biais cognitifs encouragent et nourrissent l'empire des croyances, sur lequel règnent nos émotions et nos comportements. La montée aux extrêmes des échanges et la "polarisation" de l'espace numérique entre convaincus et irréconciliables en sont une des conséquences logiques.
Notre vie culturelle et intellectuelle est devenue stroboscopique.