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Citations sur Nézida (17)

Nous avions toutes deux grandi ici. Nous savions, comme nos mères, que nos vies se dérouleraient soit à la ferme, soit aux manufactures de textiles ou de poteries qui employaient une nombreuse main-d'œuvre féminine. Les récits des conditions de travail par les femmes du village, des voisines, m'effrayaient. La sœur de ma mère, ma tante Suzanne, veuve, avait été obligée de descendre dans la vallée et d'embaucher à la manufacture pour survivre. Celles qui n'avaient pas ou plus de mari, ou aucune terre à exploiter, n'avaient pas d'autre choix. La terre réclame et se nourrit des hommes. Une femme sans homme est une femme sans terre. Bienheureuse malgré tout celle qui trouve à quelques kilomètres une place qui, même pénible, la nourrira, ainsi que ses enfants, si par malheur elle en a à charge. Très vite, d'ailleurs, ils pourront la rejoindre aux ateliers et contribuer à leur entretien.
Je souhaitais de toutes mes forces rester à l'abri de cette destinée, dans mes collines, à la terre et auprès de mon mari.

Page 33, Liana Levi, 2020.
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Dans mon souvenir elle a dix ans ou peut-être douze, pourtant elle connaît la pesanteur des débuts de journée, écrits et réécrits sans beaucoup de surprises. Cette matinée qui commence l'arrache aux rêves de l'enfant qu'elle est encore, ne lui laisse guère le temps de regretter la nuit. Son rôle est de s'occuper des autres: de ses frères, de son père, des hommes. Les matins se succèdent et se ressemblent, à ne plus savoir distinguer hier d'aujourd'hui. Une même journée infiniment recommencée, des gestes perpétués qu'elle aligne comme les cailloux dans les jeux que nous inventons, mon frère et moi, quand les congères condamnent à rester à la maison.

Page 18, Liana Levi, 2020.
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INCIPIT
Silence.
Silence dans la maison. Pénombre et silence, les volets sont presque clos et impriment leur ombre de craie grise sur les murs qui soutiennent encore ce qui reste de vie. La bise noire s’insinue déjà en cette fin septembre. Un vent glacial et puissant venu du nord étouffe de ses voiles sombres les collines et balaie de mauve la terre. Il malmène les âmes comme les bêtes. Les légendes courent… Les hommes deviendraient fous, les femmes hystériques, les crimes commis ces jours de grand vent seraient amnistiés.
Le loquet du volet s’agite par bourrasques ; son battement ponctue l’absence de mouvement dans la pièce sombre. Quelques pommes sur la table, un reste de pain, le couteau, la cruche d’eau.
La tête penchée, le corps maigre mais si lourd, tout le corps vers l’avant, Paul Cordeil pousse de ses doigts une mie de pain, l’éloigne, la reprend, concentré sur cette action infime. Le temps et le silence s’étirent. Il lève un peu la tête, regarde l’horloge. L’aiguille s’est à peine déplacée depuis son dernier coup d’œil. La mie de pain occupe son esprit, le silence est tel qu’il se croit seul.
Près de la cheminée pourtant, une ombre de laine se déplace lentement, attentive à sa tâche. Au gré de ses gestes, lumière et obscurité varient dans la pièce immobile. Elle s’applique à remplir d’eau bouillante la cuvette émaillée, d’un geste sûr, de la marmite à la cuvette. Très lentement, elle se dirige vers l’escalier de bois. Elle passe devant Paul. Il ne s’interrompt pas, ne lève pas la tête. La première marche craque un peu. Ouvrir la porte sans pencher le récipient. Ne pas renverser.
Il fait encore plus sombre dans la chambre où les persiennes sont tirées, protégeant les vitres des assauts du vent. La chambre est simple : une commode sur laquelle la photo d’un soldat fait face au portrait de jeunes mariés. Une couronne sous un globe ovale : petites fleurs blanches, minuscules pétales liés par une fine tige de perles.
Deux chaises de bois clair.
Et le lit en fer.
Des draps blancs tout juste sortis de l’imposante armoire.
Fine, transparente, dans une chemise de nuit boutonnée très haut, le col humide, paupières baissées, longues mains teintées de bleu posées sur les draps amidonnés, un mouchoir de dentelle sur l’oreiller, Nézida dort calmement, désespérément… le souffle imperceptible.
La jeune fille s’avance au bord du lit, écarte un peu le drap. Elle trempe dans la cuvette chaude la serviette rêche qui attendait sur la table de nuit, soulève la chemise grège et pose le linge sur le ventre distendu. Eau fraîche pour le front, eau chaude pour le ventre. Elle fait de son mieux : le médecin viendra, ce soir, accompagné du pasteur, peut-être. La mort qui semble s’inviter dans la maison est bien silencieuse. La jeune fille envoyée par la matrone pensait que mourir était beaucoup plus bruyant. Pas de pleurs, pas de cris, plus de vie déjà. Elle imaginait que la mort s’accompagnait de larmes et de démonstrations effrayantes.
Ce silence la met mal à l’aise. Même les langes blancs dont dépassent quelques mèches brunes ne semblent pas vivants. Pourtant on lui a dit qu’Élise, la nourrice, allait venir allaiter l’enfant. Elle ne lui a pas prêté attention en entrant, lorsque, pour atteindre le broc posé sur la commode, elle a dû contourner le berceau. C’est comme s’il ne contenait rien. C’est ce qui la trouble le plus. Ici rien ne vit ni ne semble voué à vivre. Elle aimerait bien partir mais elle a reçu l’ordre de veiller jusqu’à l’arrivée du médecin. D’habitude elle garde les chèvres, la chienne qui a mis bas, le petit garçon de la voisine, le temps que la mère s’occupe des bêtes. Veiller le silence et l’obscurité, c’est la première fois, et elle n’aime pas ça du tout… mais elle ne peut désobéir, donc elle fait de son mieux.
Eau chaude, eau froide, pousser et retenir le berceau si l’enfant se mettait à remuer, redescendre doucement l’escalier, servir la soupe à l’homme assis, jeter un œil à l’horloge et espérer qu’enfin les voix des voisins, du médecin, du pasteur viennent rompre ce silence.
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Vivante, elle inquiétait, dérangeait peut-être. Son désir de liberté absolue, sa passion intense, l'envie de tout embrasser sans concession ni renoncement. Alors, contre l'oubli, il reste à raviver un feu qui brûle encore sous les cendres disparues. L'écho d'une voix lointaine mais puissante portée par le vent
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En exergue

"Elle aime à ressusciter les villes défuntes et à faire redire aux morts rajeunis leurs passions interrompues " [Charles Baudelaie, "Théophile Gautier", L'Art romantique ]
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Un vent glacial et puissant venu du nord étouffe de ses voiles sombres les collines et balaie de mauve la terre.Il malmène les âmes comme les bêtes.Les legendes courent ...Les hommes deviendraient fous,les femmes hytériques ,les crimes commis ces jours de grand vent seraient amnistiés.
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Mon amour si sincère et profond soit-il n'a pas suffi à comprendre ses rêves, ses choix. Je ne savais pas, ne l'ayant pas appris, qu'une femme pouvait désirer plus et autre chose [...] tout est devenu trop fade et insipide. Je ne suis plus entouré que d'eaux dormantes mortes, l'avenir est devenu trop sage, convenu, attendu, sans intérêt
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Mon amour si sincère et profond soit-il n'a pas suffi à comprendre ses rêves, ses choix. Je ne savais pas, ne l'ayant pas appris, qu'une femme pouvait désirer plus et autre chose que la maternité. Je pensais que ce serait pour elle un aboutissement. Elle allait trop vite et trop fort pour un homme comme moi, prisonnier des carcans de la religion et de la morale
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Je crois, ce jour-là, avoir mis un mot sur mes sentiments à l'égard de ma fille: la jalousie. Cette enfant, devenue femme, je l'enviais. Oui, sa beauté, sa force, ce qui allait être sa vie, je l'enviais. Elle avait eu l'amour de tous les hommes autour de moi et des femmes dont j'avais rêvé être l'amie, elle etait entourée d'amitiés sincères. Ses deux frères la regardaient avec admiration
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Un seul garçon au village aurait peut-être pu lui plaire. Et la retenir, qui sait ? Je m’imagine parfois comme notre vie aurait été différente. Elle serait restée près de moi, nous étendrions ensemble le linge sur les pierres, nous bavarderions, nos petits aux genoux, et le vent emporterait nos rires.
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