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Critique de indimoon


Dans cet ouvrage se mêlent essai philosophique et autoportrait d'un homme, François Paul-Boncour, qui se dévoile sans fausse pudeur, qui fait son auto-analyse avec la même rigueur et le même déni de concessions qu'il le fait avec ses idées, ce qui est déjà pour moi un point très positif.
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Quelles sont ces idées, dont il souhaite nous faire part? Je ne vais pas me permettre de le paraphraser mais choisis plutôt un passage, des plus succincts possible, et qui tâchera de synthétiser au maximum une partie importante de cette lecture (et il me facilite la tâche, car il fait souvent usage de phrases synthétiques qui résument, ou réexpliquent avec quelques mots différents, sa pensée.)
Pages 38/39 il dit donc, à propos des notions de bien et de mal, puisque telle est la clé du propos comme l'indique le titre du livre: "(...)nous les avons toujours fabriqués sans le savoir, la seule nouveauté de demain sera que nous allons les fabriquer en le sachant, et en acceptant qu'ils ne soient ni éternels ni universels." Une grande partie du début de sa démonstration tendra donc à nous expliquer en quoi bien et mal, tels que nous les percevons aujourd'hui, ne sont ni valables dans le temps (le bien, le beau, le vrai d'hier, avant le siècle des Lumières par exemple n'étant pas le même que celui de nos jours), ni dans l'espace (autant de valeurs et de morales différentes selon la région du globe). J'apprécie alors l'esprit de l'auteur qui énonce et décortique ses vérités, qui le sont à mon sens également.
Je n'ai pas la sensation de faire de grandes découvertes puisque nous sommes d'accord, mais les mots sont bien "alignés" et la démonstration éloquente, à condition de ne pas se sentir freiné par le côté parfois pompeux de l'auteur qui ne connait pas la fausse modestie (recherche de vérité oblige lol) "Et quelle est la preuve que la vérité parle par ma bouche? L'ivresse! Ma propre ivresse! Celle que me procurent les mots que j'aligne, quand j'arrive à bien les aligner" (p15). Que l'on se rassure, il m'a semblé que cette auto-satisfaction, cette assurance, s'harmonisait au fur et à mesure des pages, avec quelques traits d'auto-dérision d'une part, mais aussi et surtout à partir d'une deuxième moitié du livre où François Paul-Boncour s'épanche sur lui-même.
Il y fait son auto-analyse que je pousserais même à de l'auto-psychanalyse et s'ouvre totalement au lecteur, une fenêtre d'empathie par laquelle je suis parvenue à lui. Il fait étalage sans réserve de la génèse de sa recherche de vérité, liée à sa propre histoire (notamment un lien à maman que les amateurs de Freud apprécieront). Aussi je considère ce livre comme une catharsis littéraire de la passion de son auteur pour (la recherche de) la lucidité. Je reprends ainsi le commentaire de Daniel Pennac, qui rogne une grande partie de l'extrait de l'oeuvre de Jérôme Bosch, en couverture. Un bandeau rouge qui n'est pas en papier comme je le pensais mais bien une partie intégrante de la couverture; avec le nom d'un auteur en plus grand que l'auteur du livre lui-même et un commentaire plus gros que le titre...Pourtant même si elles n'ont pas le retentissement escompté, les idées de François Paul-Boncour sont valeureuses et son travail dans ce livre tout à fait honorable.
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Les idées exprimées dans ce livre ne se bornent pas à considérer bien et mal comme relatifs, bien heureusement. D'ailleurs, pour François Paul-Boncour "cet enfer du relativisme absolu est une illusion née d'un manque d'imagination, ou d'intelligence" (p36). Cet enfer, ce "trou noir" dit-il par ailleurs, doit faire jaillir plus d'enthousiasme qu'il n'y parait, en partie car il considère que devoir trier bien et mal en dehors d'un réel libre arbitre (puisque imposés malgré nous par les différentes idéologies qui les ont fabriqués) serait en fait "un effort qui accapare l'âme inutilement" (p62).
Cette disparition du bien et du mal permettrait ainsi de "simplifier, clarifier et durcir la morale" (p63). Une déclaration qui m'a semblé lumineuse, à titre personnel(une fois bien expliquée bien sûr car sûrement absconse lancée comme ça, en raccourci), car elle m'a déculpabilisée par rapport à certains de mes comportements; et fait me sentir moins seule. Souvent j'ai une tête de pioche (pour le dire gentiment), à agir selon mes préceptes, ma morale, sans forcément tenir compte de ce qui est considéré (par les institutions, ou la morale majoritaire issue des idéologies dans les lesquelles nous baignons) comme correct ou non, "bien ou mal" selon les termes larges.
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En parallèle il lance une idée fabuleuse, jusqu'au boutiste de sa trouvaille -à laquelle je réfléchis encore je suppose que ma souplesse d'esprit est équivalente à celle du reste de mon corps soit rapidement très limitée- soit que la disparition du bien et de mal (tels que nous les utilisons) , pourrait purger l'humanité de la violence, du totalitarisme. Basculement de mon petit esprit à l'universel, j'avoue le grand écart tire drôlement. Ainsi un tri plus arbitrairement égocentrique du bien et du mal entraînerait "la proposition" que ce sont désormais "les moyens qui justifient la fin" (p68). Et ce qui en découle :"recourir à la violence vis-à-vis d'autrui devient une absurdité définitive" (p73).
"En résumé, ta morale et celle des autres résident maintenant tout entières dans le choix des moyens que tu emploieras; et ton appétit de vivre, de croître et de multiplier, hier encore dissimulé, honteux et ridicule, s'ébroue maintenant avec alacrité au grand air" (p69)
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Je n'ai pas réussi à adhérer, j'ai évidemment pensé au contexte actuel. Sur quelle sorte de notion de bien et de mal se repose Poutine pour agrandir son pouvoir au prix de la guerre? Une sorte de grandeur passée de son pays? (encore très grand au demeurant).
J'ai vraiment beaucoup de mal à croire au scénario selon lequel un dictateur de sa trempe se dirait, parce qu'on serait disons en l'an 2400 et que l'humanité suivrait désormais les préceptes initiés par notre bienfaiteur, François Paul-Boncour, dont les idées auraient grandi de façon exponentielle: "fais gaffe Vladimir, les moyens justifient la fin, et si tu détruis tout, tout le monde va te tourner le dos et personne ne va adhérer à ta grandeur et tes idées".
Je suis déçue de la façon dont François Paul-Boncour atténue finalement sa trouvaille si crânement avancée, en créant au chapitre suivant une sorte de scission qui ne peut disparaître, car il n'y a pas de "magie", entre ceux que la reconnaissance de la forme "locale, éphémère et subjective" du bien et du mal va empêcher de recourir à la violence et ceux pour lesquels ça ne suffira pas.
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Je le paraphrase beaucoup au final, je m'en excuse. J'espère ne pas trop dénaturer par trop de raccourcis ou de mauvaise compréhension. Je me dis que ceux que cela aura rendu curieux le seront de lire directement le livre, dont mon billet, très pâle et incomplet reflet, se doit d 'être exhaustif (et ne l'est pourtant pas...).
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Je voulais également aborder la façon dont l'auteur nous livre ses réflexions, ou plutôt comment il éprouve le besoin de les livrer à Jean-Baptiste Clamence. Ce nom me tombe dessus, dès les premières lignes du livre et entraîne des recherches dues à mon manque de culture.
Il est le personnage central d'Albert Camus dans son roman "La chute". Dans ce livre le personnage de Clamence met en question tous les fondements de sa vie à partir du moment où il ne fournit aucune aide à une femme qui veut se jeter d'un pont, ce qui provoque dans son esprit un électrochoc (si j'ai bien compris ne l'ayant pas lu), dans ce contexte d'après-guerre où "la civilisation européenne a laissé partir des millions de gens en fumée sans bonne raison" (p9). François Paul-Boncour se fantasme face à lui dans un bar à Amsterdam, au Mexico city, celui-là même où JB Clamence s'auto-proclame "juge-pénitent" dans le livre de Camus. Il s'adresse à lui à chaque début de chapitre, comme si JB Clamence était celui qui le poussait à approfondir sa réflexion ou à revenir sur certaines propos avec lesquels il ne serait pas en accord. Aussi, tout l'essai est rédigé à la deuxième personne du singulier, ce "tu" est aussi bien destiné à Clamence qu'à nous, ses contemporains.
J'ai été assez touchée par cette sorte de "béquille narrative", il semblerait, pour donner l'illusion à l'auteur qu'il n'est pas seul, F Paul-boncour reconnaissant la solitude de l'exil introspectif qu'il s'est imposé. Egalement, avoir lu "la chute" m'aurait sans doute aidée à bien saisir pourquoi le personnage de Clamence cristallise à lui tout seul cette nécessité de reconnaître bien et mal comme fluctuants. Mais je n'en retirerais rien de plus précis sur la finalité de sa convocation que ce qu'en dit l'auteur en prélude p8 "il était rongé d'un mal qu'il ne comprenait pas. il l'attribuait tantôt à un défaut général de la condition humaine, tantôt à une infirmité de son propre caractère. Dans les deux cas il se trompait.". Il est relié bien sûr plus clairement, bien que ce ne soit pas précisé directement, p 171 à cette "culpabilité que l'Holocauste a fait naître dans le coeur de la civilisation européenne moderne, cette culpabilité, je la ressens comme mienne."
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On sort décidemment du côté purement intellectuel de l'essai, avec les confessions intimes de l'auteur, et cet échange avec un personnage de fiction. Ceci dit, on ne bascule pas non plus dans quelconque ressemblance à une lecture de l'imaginaire, Jean-Baptiste Clamence est avant tout un outil aidant l'auteur à dérouler le fil de ses pensées. Aussi le schéma est répétitif au bout de 8 chapitres: ils commencent toujours avec une interprétation de ce que JB Clamence aurait pensé de ce que François Paul-Boncour a conclu au chapitre précédent. Il cristallise la façon dont l'auteur imagine ses idées reçues par le monde extérieur.
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Si je synthétise mon appréciation de cette lecture, j'ai aimé les idées de François Paul-Boncour, sortes d'actualisation de préceptes que l'on connait, où il y a un fondement qui fait encore un écho en nous, comme il l'écrit très justement p24 "Le neuf se cache parfois au milieu du vieux", ce qui donne par exemple en autres "Ne fais pas à tes descendants ce que tu ne voudrais pas que tes ascendants t'aient fait" p216.
Je n'ai pas (réussi, faute de prouesses gymnastes?) suivi jusqu'au bout les méandres de sa réflexion, même si j'en avais envie. Peut-être m'a t il manqué plus d'exemples issus de notre vie quotidienne contemporaine pour être impactée davantage. Il me donne un exemple provenant la Grèce antique à un moment, des Aztèques à un autre, et ces exemples sont éclairants, en effet. Mais je préfère ses références au Covid, à l'Holocauste, ou au milieu artistique par exemple, malheureusement trop courtes et trop rares(c'est ce que j'entends par évènements plus contemporains). Je ne suis pas philosophe, rien n'est plus judicieux ou probant qu'un exemple. Il vaut largement un long discours; surtout si ce discours a tendance à se répéter.
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Malgré l'iconoclasme qui le caractérise (et qui pourra être très désagréable à certains) j'ai également apprécié l'optimisme des idées de l'auteur, et finalement sa foi en l'humanisme, qu'il décrit comme une religion qui évoluera et grandira dans les consciences collectives. Beaucoup posent un constat défaitiste sur notre monde actuel, le critiquent, mais peu osent apporter des propositions qui pourraient l'améliorer, si théoriques soient-elles.
Une belle fin pour un essai qui m'a fortement fait cogiter et demandé beaucoup de concentration, où finalement les idées évoquées ont retenti comme m'étant familières (bien que m'ayant parfois dépassée) et exposées d'une belle et riche façon.
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Je ne peux que remercier Babelio pour ces masses critiques non-fiction de février, ainsi que les éditions CentMilleMilliards. Je voulais lire quelque chose de marquant sur un sujet mille fois rebattu, je l'ai eu.
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