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EAN : 9782070360109
152 pages
Gallimard (18/01/1972)
3.95/5   3314 notes
Résumé :
Dans un quartier d'Amsterdam où se croisent matelots de toutes nations, souteneurs, prostituées et voleurs, un homme que le hasard a mis sur le chemin de l'un de ses compatriotes, se raconte. Qui est-il ? C'est la source de cet admirable monologue, où Jean-Baptiste Clémence retrace le parcours autrefois brillant de son existence parisienne. Jusqu'au jour où différents Evénements ruinent les derniers vestiges de sa normalité existentielle. Il fuit dans la débauche ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (171) Voir plus Ajouter une critique
3,95

sur 3314 notes
Eh beh ! Quelle claque ! Il est des textes qu'il faut relire des décennies plus tard, cela fait un bien fou. En tout cas moi cela m'a fait du bien. Ça repositionne les choses, les relativise, et ce, avec d'autant plus de majesté qu'en trente années, j'ai le recul, l'expérience et une connaissance de moi plus complète. Il a bien fallu les gravir les montagnes, mais à quel prix. La chute ! Je sais comment j'ai agi et pourquoi. C'est ainsi que cette lecture est totalement différente aujourd'hui. J'ai beaucoup plus de points de comparaison pour sentir l'ironie de Camus et en prendre pour mon grade. A seize ans, que sait-on de soi-même... Mes maigres certitudes actuelles qui finalement n'en sont pas. Et ma générosité qui n'est en fait que l'amour de moi pour moi. J'ai tout aimé dans ce texte, tout. le narrateur discourt avec un personnage que l'on n'entend jamais autrement que par les questions ou réponses que reprend le narrateur, ce fameux juge-pénitent. La plume est vive et féroce. Rien ni personne n'est oublié, Camus est imparable et son regard perçant. Un très grand texte pour moi.
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"La chute" d'Albert Camus est le monologue d'un individu à bout de souffle dont les phrases se succèdent dans un rythme effréné, se livrant à un interlocuteur attentif. Les confessions d'un homme rongé par la culpabilité de ne pas avoir réagi au suicide d'une jeune femme qui s'est laissée jeter d'un pont.
Cette culpabilité va réveiller sa conscience humaine...
Jean Baptiste Clamence, bourgeois vaniteux et égocentrique, avocat renommé, que ses bonnes actions calculées distinguent, va abandonner sa riche vie parisienne, son travail suite au suicide d'une jeune femme. Il décide alors d'inverser son rôle en se positionnant au banc des accusés afin de se juger sans duplicité.
Il s'exile donc en Hollande, pays rocailleux froid, hostile qu'il décrit comme les portes de l'Enfer.
Clamence veut se repentir de ses péchés, il devient observateur, contemple l'ignominie humaine, mais il souffre, s'enivre et côtoie des endroits mal famés. Il s'attribue un poste de juge pénitent au bar Mexico City où il se confesse à nu publiquement et s'accuse des fautes de l'humanité afin de les renvoyer à ses interlocuteurs espérant qu'eux mêmes prendront conscience de leurs erreurs. Ainsi tel un prophète en pleine rédemption, il s'accorde le droit de juger les hommes (Plus je m'accuse et plus j'ai le droit de vous juger), sa cible la bourgeoisie!
Mais sa culpabilité le poursuit amèrement, la confession et la rédemption ne peuvent pas toujours offrir le pardon...
Dans un ton froid, glacial, écrit avec une grande éloquence Albert Camus nous frappe à coup de mots percutants, critique l'humanité égoïste sans oublier toutefois qu'il est bien conscient d'en faire partie.
"La chute" provoque chez le lecteur un malaise troublant et nous amène à se poser certaines questions existentielles.
A lire ou étudier du moins par curiosité.

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J'avais fort peu goûté "L'étranger", je ne m'en sors donc pas trop mal avec cette relecture de "La chute", presque vingt ans après la première tentative qui m'avait trouvée bien désarmée devant la prose de Camus.

Forcément, avec vingt ans de plus (punaise, vingt ans !) et une expérience de la nature humaine mieux développée, je suis plus à même de comprendre ce long monologue aux allures de soliloque - la chute du roman (sans jeu de mots) me fait en effet davantage penser à un examen de conscience doublé d'une auto-psychanalyse qu'à une confession - même si l'humilité la plus fondamentale me contraint à avouer que certains passages sont restés bien opaques à ma petite cervelle.

Le narrateur se confie à l'étranger (toujours pas de subtil jeu de mots) de passage dans son bar fétiche, sur le port d'Amsterdam, et bien qu'il le découvrira seulement après s'être confessé, il se trouve que cet étranger lui ressemble fort et exerce la même profession que lui - il est avocat. Cette tendresse particulière et instinctive du narrateur pour son auditeur entraîne la confiance puis les confidences.

Mais de quoi parle ce livre, nom d'un petit bonhomme ?
Une chute. La chute.
Une chute qui entraîne la chute.
La chute d'une jeune femme dans les eaux sombres de la Seine provoque la chute morale du narrateur.

Lui dont la vocation est de défendre son prochain sans le juger, lui dont la vie privée n'est que facilité et jouissances, se rend compte brutalement que lui aussi peut être jugé, et sévèrement, après s'être refusé à secourir une citoyenne en détresse au moment de son suicide, survenu presque sous ses yeux. Après cet incident, la vérité lui saute aux yeux : on ne peut échapper aux jugements des autres, ni vivant, ni mort ; ni bon, ni mauvais ; ni méritant, ni criminel. Dès lors, inutile de s'en faire, ni de chercher une rédemption qui ne viendra jamais, le bonheur de l'être humain réside dans l'acceptation de sa duplicité.

"J'ai accepté la duplicité au lieu de m'en désoler. Je m'y suis installé, au contraire, et j'y ai trouvé le confort que j'ai cherché toute ma vie. J'ai eu tort, au fond, de vous dire que l'essentiel était d'éviter le jugement. L'essentiel est de pouvoir tout se permettre, quitte à professer de temps en temps, à grand cris, sa propre indignité. Je me permets tout, à nouveau, et sans rire, cette fois. Je n'ai pas changé de vie, je continue de m'aimer et de me servir des autres."

Le monologue du narrateur s'articule en six périodes axées, au centre du roman, par la fameuse chute de la malheureuse jeune femme dans la Seine et qui n'aura pas reçu le secours du narrateur. Camus développe autour du thème du jugement, ceux de la justice, de la liberté, de l'estime de soi, des relations sociales, de l'amour et de la finalité de l'existence, toute philosophie qui, sans me désintéresser, ne me passionne pas excessivement et le propos de Camus, souvent verbeux, a le mérite de rester digeste parce que concis.

On pourrait, à l'envi, débobiner consciemment chacune de ses phrases et se retrouver très vite avec un épais traité de philosophie entre les mains mais je laisse ce labeur aux amateurs. Tout comme il y a vingt ans sur les bancs du lycée, je me prescris la philosophie en doses homéopathiques.


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Dans un bar d'Amsterdam, un homme se confesse à un autre. Narrateur unique de cet étrange et sombre récit, cet homme, Jean-Baptiste Clamence, va se raconter et, revenant sur les grands épisodes de sa vie passée, il nous narre sa chute, qui a débuté un soir, quand il n'a pas réagit devant le suicide d'un jeune fille se jetant sous un pont de Paris.
A partir de cet évènement, l'homme est non seulement descendu aux enfers, mais il a aussi commencé le chemin d'une prise de conscience peu habituelle sur l'humanité et le sens de la vie. S'auto-proclamant "juge pénitent", Jean-Baptiste Clamence observe, juge et condamne sans concessions, lui-même mais aussi toute l'humanité avec lui. Revenant sur ses expériences, c'est un portrait noir et peu glorieux de l'Homme avec un grand H, qu'il dresse dans son récit, et comme il le conclut lui-même, "Quand on a beaucoup médité sur l'homme, par métier ou par vocation, il arrive qu'on éprouve de la nostalgie pour les primates."

Roman sombre et terrible réflexion sur l'homme moderne, "La chute" est un livre puissant qui m'a beaucoup marquée. L'intelligence de nombre de réflexions de notre narrateur pénitent sur l'homme ainsi que certaines descriptions merveilleusement troublantes d'Amsterdam restent très vives dans ma mémoire. Certes c'est lourd, certes c'est noir, mais paradoxalement, "La chute" est l'un des romans qui me redonnent confiance en l'homme, car il faut que son auteur ait été bien loin du primate, pour pousser sa réflexion et ses mots aussi loin sur le chemin de la conscience!
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Il y a un « avant » et un « après » la chute, moment à partir duquel notre héros, brillant avocat, va prendre conscience de sa vanité et du caractère quelque peu factice de sa vie. Il va bien essayer de se bercer de quelques illusions en tombant amoureux ou en s'adonnant à la débauche mais il finira par échouer à Amsterdam. C'est là, où il se pose en juge « pénitent », en s'accusant lui-même afin d'éviter le jugement des autres mais aussi, et par reflet, pour accuser les autres.
Un très grand livre, riche, complexe et dérangeant avec des thèmes chers à Albert Camus, tels la religion, la foi, ou encore le jugement.
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critiques presse (1)
LeFigaro
12 octobre 2017
Le mode ironique, sur lequel ce livre est écrit, est peut-être ce qui lui donne une cruauté de plus, sur le fond de lucidité terrible où il fait suite à quelques autres.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (527) Voir plus Ajouter une citation
Puis-je, monsieur, vous proposer mes services, sans risquer d’être importun ? Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l’estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement. Il ne parle, en effet, que le hollandais. Voilà, j’ose espérer qu’il m’a compris ; ce hochement de tête doit signifier qu’il se rend à mes arguments. Vous avez de la chance, il n’a pas grogné. Quand il refuse de servir, un grognement lui suffit : personne n’insiste. Etre roi de ses humeurs, c’est le privilège des grands animaux. Vous avez raison, son mutisme est assourdissant. C’est le silence des forets primitives, chargé jusqu’à la gueule. Unes des rares phrases que j’ai entendues de sa bouche proclamait que c’était à prendre ou à laisser. Que fallait-il prendre ou laisser ? Sans doute, notre ami lui-même. Je vous l’avouerai, je suis attiré par ces créatures tout d’une pièce. Quand on a beaucoup médité sur l’homme, il arrive qu’on éprouve de la nostalgie pour les primates. Ils n’ont pas, eux, d’arrière-pensées. Mais permettez-moi de me présenter : Jean-Baptiste Clamence, pour vous servir. Heureux de vous connaître. Il y a quelques années, j’étais avocat à Paris et, ma foi, un avocat assez connu. Le coeur sur les manches !… On aurait cru vraiment que la justice couchait avec moi tous les soirs. Je suis sûr que vous auriez admiré l’exactitude de mon ton, la justesse de mon émotion, la persuasion et la chaleur, l’indignation maîtrisée de mes plaidoiries. La nature m’a bien servi quant au physique, l’attitude noble me vient sans effort. De plus, j’étais soutenu par deux sentiments sincères : la satisfaction d’être du bon côté de la barre et un mépris instinctif envers les juges en général. Voilà, la conscience du droit, la satisfaction d’avoir raison, la joie de s’estimer soi-même, cher monsieur, sont des ressorts puissants pour nous tenir debout ou nous faire avancer. Au contraire, si vous en privez les hommes, vous les transformez en chiens écumants. Ne croyez pas, cher monsieur, que je me vante en tout ceci. Mon mérite était nul : l’avidité qui, dans notre société, tient lieu d’ambition, m’a toujours fait rire. Je visais plus haut : être maître de mes libéralités, atteindre plus haut que l’ambitieux vulgaire et se hisser à ce point culminant où la vertu ne se nourrit plus que d’elle-même… Arrêtons-nous sur ces cîmes. Ma profession satisfaisait heureusement cette vocation des sommets. Elle m’enlevait toute amertume à l’égard de mon prochain que j’obligeais toujours sans jamais rien lui devoir. Pesez bien cela, cher monsieur : je vivais impunément. Je n’étais concerné par aucun jugement, je ne me trouvais pas sur la scène du tribunal, mais quelque part, dans les cintres. Après tout, vivre au-dessus reste encore la meilleure manière d’être salué par le plus grand nombre. Les juges punissaient, les accusés expiaient et moi, je régnais, librement, dans une lumière édénique. N’est-ce pas cela, en effet, l’Eden, cher monsieur : la vie en prise directe ? Je sais qu’on ne peut se passer de dominer ou d’être servi. Chaque homme a besoin d’esclaves comme d’air pur. Commander, c’est respirer, vous êtes bien de cette avis ? L’essentiel, en somme, est de pouvoir se fâcher sans que l’autre ait le droit de répondre. La puissance tranche tout. D’une manière générale, j’aime toutes les îles : il est plus facile d’y régner. Il faut le reconnaître humblement, mon cher compatriote, j’ai toujours crevé de vanité. L’homme est ainsi, il a deux faces : il ne peut aimer sans s’aimer. Moi, moi, moi, voilà le refrain de ma chère vie. Je n'ai pas d'amis, je n'ai que des complices. Je vivais donc au jour le jour. Au jour le jour les femmes, au jour le jour la vertu et le vice, au jour le jour… mais tous les jours, moi-même, à la surface de la vie. J’ai toujours réussi avec les femmes. Vous savez ce que c’est le charme : une manière de s’entendre répondre oui sans avoir posé aucune question. Nos amies, en effet, ont ceci de commun avec Bonaparte qu’elles pensent toujours réussir là où tout le monde a échoué. Croyez-moi, pour certains êtres, au moins, lorsqu'on se trouve un jour dans la situation de prendre sans vraiment désirer, ne pas prendre ce qu’on ne désire pas est la chose la plus difficile du monde. L’acte d’amour, par exemple, est un aveu. L’égoïsme y crie, ostensiblement, la vanité s’y étale, ou bien la vraie générosité s’y révèle. Nul homme n’est hypocrite dans ses plaisirs, mon cher compatriote. Et puis, allons droit au but, j’aime la vie, voilà ma vraie faiblesse. Je l’aime tant que je n’ai aucune imagination pour ce qui n’est pas elle. La question est d’éviter le jugement. Je ne dis pas d’éviter le châtiment. Car le châtiment sans jugement est supportable. Il porte un nom d’ailleurs qui garantit notre innocence : le malheur. Non, pour le jugement aujourd’hui nous sommes toujours prêts, comme pour la fornication. Vivre pleinement et dans un libre abandon au bonheur, cela ne se pardonne pas. Pas d'excuses, jamais, pour personne. Pour être heureux, il ne faut pas trop s’occuper des autres. Heureux et jugé, ou absous et misérable. La seule parade est dans la méchanceté. Les gens se dépêchent alors de juger pour ne pas l’être eux-mêmes. Nous voulons tous faire appel de quelque chose ! Chacun exige d’être innocent, à tout prix. Dans un sens, je mourais d’envie d’être immortel. L’alcool et les femmes m’ont fourni, avouons-le, le seul soulagement dont je fusse digne. La vraie débauche est libératrice parce qu’elle ne crée aucune obligation. On n’y possède que soi-même ; elle est une jungle, sans avenir ni passé, sans promesse surtout, ni sanction immédiate. Séparée du monde, la débauche n’a rien de frénétique, elle n’est qu’un long sommeil. Autrefois, je n’avais que la liberté à la bouche. Il faut me pardonner : je ne savais pas que la liberté n’est pas une récompense. Oh ! non, c’est une corvée. Au bout de toute liberté, il y a une sentence. Ah ! mon cher, pour qui est seul, sans dieu et sans maître, le poids des jours est terrible. Vous voyez, l'essentiel est de n'être plus libre et d'obéir, dans le repentir, à plus coquin que soi. Quand nous serons tous coupables, ce sera la démocratie. Sans compter, cher ami, qu'il faut se venger de devoir mourir seul. La mort est solitaire tandis que la servitude est collective. Pouvoir tout se permettre, c'est jouir deux fois. Depuis je m'abandonne à tout, aux femmes, à l'orgueil, à l'ennui, au ressentiment. Je règne enfin, mais pour toujours. Et je plains sans absoudre, je comprends sans pardonner, et surtout, je sens que l'on m'adore ! Alors, buvant le jour d'absinthe qui se lève, ivre de mauvaises paroles, je suis heureux, je suis heureux, vous dis-je, je vous interdis de ne pas croire à mon bonheur, je suis heureux ... à en mourir !
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N'avez-vous jamais eu subitement besoin de sympathie, de secours, d'amitié ? Oui, bien sûr. Moi, j'ai appris à me contenter de la sympathie. On la trouve plus facilement, et puis elle n'engage à rien. "Croyez à ma sympathie", dans le discours intérieur, précède immédiatement "et maintenant, occupons-nous d'autre chose". C'est un sentiment de président du conseil : on l'obtient à bon marché, après les catastrophes. L'amitié, c'est moins simple. Elle est longue et dure à obtenir, mais quand on l'a, plus moyen de s'en débarrasser, il faut faire face. Ne croyez surtout pas que vos amis vous téléphoneront tous les soirs, comme ils le devraient, pour savoir si ce n'est pas justement le soir où vous décidez de vous suicider, ou plus simplement si vous n'avez pas besoin de compagnie, si vous n'êtes pas en disposition de sortir. Mais non, s'ils téléphonent, soyez tranquille, ce sera le soir où vous n'êtes pas seul, et où la vie est belle.
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J'ai connu un homme qui a donné vingt ans de sa vie à une étourdie, qui lui a tout sacrifié, ses amitiés, son travail, la décence même de sa vie, et qui reconnut un soir qu'il ne l'avait jamais aimée. Il s'ennuyait, voilà tout, il s’ennuyait comme la plupart des gens. Il s'était donc créé de toutes pièces une vie de complications et de drames. Il faut que quelque chose arrive, voilà l'explication de la plupart des engagements humains.
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Le genièvre, dispensateur des sortilèges d'Amsterdam:

Heureusement, il y a le genièvre, la seule lueur dans ces ténèbres. Sentez-vous la lumière dorée, cuivrée, qu'il met en vous ? J'aime marcher à travers la ville, le soir, dans la chaleur du genièvre. Je marche des nuits durant, je rêve, ou je me parle interminablement. Comme ce soir, oui, et je crains de vous étourdir un peu, merci, vous êtes courtois. Mais c'est le trop-plein; dès que j'ouvre la bouche, les phrases coulent. Ce pays m'inspire d'ailleurs. J'aime ce peuple, grouillant sur les trottoirs, coincé dans un petit espace de maisons et d'eaux, cerné par des brumes, des terres froides, et la mer fumante comme une lessive. Je l'aime, car il est double. Il est ici et il est d'ailleurs.

Mais oui ! A écouter leurs pas lourds, sur le pavé gras, à les voir passer pesamment entre leurs boutiques, pleines de harengs dorés et de bijoux couleur de feuilles mortes vous croyez sans doute qu'ils sont là, ce soir ? Vous êtes comme tout le monde, vous prenez ces braves gens pour une tribu de syndics et de marchands, comptant leurs écus avec leurs chances de vie éternelle, et dont le seul lyrisme consiste à prendre parfois, couverts de larges chapeaux, des leçons d'anatomie ? Vous vous trompez. Ils marchent près de nous, il est vrai, et pourtant, voyez où se trouvent leurs têtes: dans cette brume de néon, de genièvre et de menthe qui descend des enseignes rouges et vertes. La Hollande est un songe, monsieur, un songe d'or et de fumée, plus fumeux le jour, plus doré la nuit, et nuit et jour ce songe est peuplé de Lohengrin comme ceux-ci, filant rêveusement sur leurs noirs bicyclettes à hauts guidons, cygnes funèbres qui tournent sans trêve, dans tout le pays, autour des mers, le long des canaux.p.16/17,
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Regardez, la neige tombe ! Oh, il faut que je sorte ! Amsterdam endormie dans la nuit blanche, les canaux de jade sombre sous les ponts neigeux, les rues désertes, mes pas étouffés, ce sera la pureté, fugitive, avant la boue de demain. Voyez les énormes flocons qui s'ébouriffent contre les vitres. Ce sont les colombes sûrement.
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