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Critique de colimasson


Bien connu pour rompre ses amitiés lorsque les désaccords idéologiques sur des points de sa psychologie analytique deviennent trop importants, Jung fait toutefois exception de ce principe dans sa relation avec Wolfgang Pauli.


Brillant physicien, Pauli formule à l'âge de 29 ans le principe d'exclusion en mécanique quantique. Il obtient reconnaissance en ce domaine après sa collaboration avec Werner Heisenberg sur la théorie quantique des champs. Également connu pour être à l'origine de « l'effet Pauli », il lui suffisait selon la légende d'entrer dans un laboratoire un jour de chienne humeur pour provoquer toutes sortes d'accidents. Bien que réputé par ailleurs pilier de comptoir et amateur de rixes d'ivres morts, ce n'est pas pour cette raison cependant qu'il vint consulter Jung en l'an 1932 : Pauli était devenu la proie d'une série de cauchemars qui perturbaient gravement son existence.


Impressionné par la teneur symbolique hautement « archétypique » des rêves de Pauli, Jung envoie d'abord le phénomène chez une consoeur à titre d'exemple édifiant, avant de le récupérer un peu plus tard. Pauli ne restera pas longtemps en analyse, emmené par son rythme de vie soutenu, mais il restera en contact avec Jung. Lancé dans l'interprétation des rêves, il ne cessera de les noter pendant quelques années, produisant une base de plus de 1500 récits oniriques sur lesquels Jung s'appuiera dans « Psychologie et alchimie ».


Au fil des années, l'importance consacrée aux rêves dans la correspondance s'estompe, remplacée par le besoin que ressent désormais Jung de donner une nouvelle profondeur sémantique aux concepts de sa psychologie analytique, dans la fréquentation de la physique quantique. Pauli se présente dans ce projet comme un guide dévoué, reprenant les essais d'hybridation qu'effectue Jung entre psychologie et physique pour éviter qu'apparaissent contresens ou approximations. Il se révèle également critique perspicace, ramenant Jung sur terre lorsque ses frénésies d'un savoir totalisant s'emparent de lui. « […] il serait nécessaire de délester votre psychologie analytique. Elle me fait l'effet d'un véhicule fonctionnant avec des soupapes abîmées (la tendance du concept de « psyché » à s'étendre provoque une surpression) ; c'est pourquoi j'ai envie d'enlever des poids et de lâcher de la vapeur. »


Jamais Jung ne se fâchera ou n'opposera de résistances aux critiques de Pauli. Il sentait certainement que le domaine de Pauli lui échappait, requérant de lui la plus pleine humilité, alors que dans le domaine de la psychiatrie, il estimait n'avoir aucune leçon à recevoir de qui que ce soit, et surtout pas de Freud, par exemple, même lorsqu'il s'aventurait sur le terrain inconnu de la psychanalyse – mais à le ramener aux concepts connus de la psychiatrie, Jung n'avait pu saisir la portée de la radicale coupure épistémique initiée par Freud. Enthousiasmé par ailleurs par l'imaginaire qui peuple les sciences physiques, Jung pense, à la fin de son existence, que ce domaine du savoir pourrait constituer une promesse d'avenir pour sa psychologie analytique, puisqu'il ambitionne en effet de formaliser la nature psychoïde (matérielle-psychique) des phénomènes de la conscience.


Quand bien même le mélange des sciences physiques et de la psychologie analytique ne semble pas devoir conduire à de véritables découvertes dans un champ comme dans l'autre, en raison de leur incompatibilité de structure, cette correspondance témoigne d'intéressants échanges animés par le désir d'un enrichissement transdisciplinaire.
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