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Critique de Charybde2


Un puzzle ténu et magnifique, en trois dimensions et en plusieurs trames narratives à reconstituer le cas échéant, contenu dans une simple boîte à écriture de marine, entre France, Bosnie et Monténégro. Un chef-d'oeuvre.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/18/note-de-lecture-la-boite-a-ecriture-milorad-pavic/

À côté de l'immense « Dictionnaire khazar », foncièrement machiavélique et si curieusement poétique, de Milorad Pavić, il faudra désormais, grâce à l'infatigable Maria Béjanovska dont le talent de lectrice et de traductrice s'évertue à nous faire connaître les oeuvres non encore disponibles en français de ce grand magicien de la littérature mondiale en général, et de la littérature de l'ex-Yougoslavie en particulier, compter avec « La boîte à écriture », livre-objet tout droit sorti d'un univers parallèle merveilleux, que l'imagination technique et maquettiste des éditions Le Nouvel Attila a su rendre à la perfection, en s'arrêtant juste avant de nous fournir, pour de bon, une véritable boîte à écriture de marine, en acajou, avec ses accessoires. Publiée en 1999, traduite en français en janvier 2021, cette authentique boîte noire de quelque naufrage passé, réel et métaphorique, ne demande maintenant qu'à livrer ses mystères récitatifs et poétiques, même si certains d'entre eux se révéleront bien dissimulés ou habilement récalcitrants.

En parcourant et débusquant les pièces de puzzles multiples qu'offrent successivement le couvercle avec un soleil en laiton, les quarante-huit cartes postales, les petits compartiments noirs et blancs, le tiroir en bois de rose, le tiroir en noyer, le manuscrit de Paris enveloppé dans une bande dessinée anglaise, le compartiment en soie verte, le compartiment tapissé d'étoffe, le compartiment à l'odeur de bois de santal, le compartiment pour les objets précieux, le compartiment pour les ducats et les bagues, le tiroir extérieur et la photographie, la lectrice ou le lecteur auront le plaisir d'une tentative de facto de reconstitution d'une trame de destins croisés, incertains, peut-être fallacieux ou fantastiques, sous le signe de vies étudiantes pas tout à fait ordinaires et d'essayages de manteaux de fourrure multi-destinataires, à Paris, de la terrible guerre de Bosnie et de ses prolongements empoisonnés (on aura certainement une pensée pour le si spécial « Sous pression » de Faruk Šehić), tentaculaires jusque dans les havres cosmopolites (que rappelait il n'y pas si longtemps le beau « le phare, voyage immobile » de Paolo Rumiz) de Kotor ou de Perast, de navigations terriblement incertaines (et là, le « Attente sur la mer » de Francesco Biamonti n'est pas si loin), de parfums de luxe et de faux-semblants, toujours et partout. Jusque dans le très contemporain (en 1999, la phrase terrible puissamment jetée en exergue du roman-puzzle, « Chaque fois que l'Europe tombe malade, elle cherche à soigner les Balkans », prend un sens encore différent alors que pour la première fois depuis 1945 les bombes américaines, anglaises et françaises s'abattent « chirurgicalement » sur les ponts, les entrepôts, les raffineries et les usines d'un pays européen, même aux dirigeants alors si dévoyés), Milorad Pavić exprime dans chaque détail son sens tout borgésien de la mystification, sa familiarité post-oulipienne avec la dissimulation des contraintes d'écriture et son sens synesthésique de la beauté humaine – même lorsque la politique et la guerre se sont mêlées pour écrabouiller les êtres.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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