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Critique de HundredDreams


Pef est un auteur-illustrateur de littérature d'enfance et de jeunesse, bien connu pour ses albums illustrés humoristiques tels que « la belle lisse poire du prince de Motordu » ou encore « Rendez-moi mes poux ».

Sorti en 1998 à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de l'armistice de la Première Guerre Mondiale, cet album jeunesse, entre récit fantastique et documentaire, aborde avec subtilité un sujet sérieux, celui de la guerre.
Ce livre est l'occasion de se souvenir des millions de héros anonymes qui ont vécu l'impensable dans l'enfer des tranchées. En revenant sur cet événement historique majeur du XXème siècle, ce récit permet de sensibiliser les plus jeunes à la question de la paix en proposant une réflexion sur la violence et l'utilité des conflits armés.

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La petite commune de Rezé où se déroule cette histoire existe réellement. Pef y a été invité pour un festival d'écritures de nouvelles.
En se promenant dans la ville, l'auteur a remarqué qu'aucun des deux cent quatre-vingt-huit soldats rezéens morts pour la France n'était gravé sur le monument aux morts. Un hommage leur est rendu sous une autre forme, de nombreuses rues de la ville portant le nom d'un des soldats de 14-18.

« On ne le regardait presque jamais. Sur la place de Rezé, le monument aux morts était sans vie. »

Il a alors décidé de leur rendre hommage à sa manière. Ainsi, les personnages du livre, Sorin, Monnier, Blourde, Monti de Rezé, sont quelques noms de Poilus de Rezé.
Voilà comment est né l'idée de « Zappe la guerre ».

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Quatre-vingts ans après la Première Guerre mondiale, Pef interroge les enfants sur l'Histoire du monde, grâce au regard que posent ces soldats sur notre époque.
Comment ?
L'auteur imagine ces gueules cassés, portant encore les stigmates de la guerre sur leurs corps et leurs visages, sortant du monument et se déployant dans les rues de la ville pour une mission d'une nuit. Ils veulent savoir si leur mort a été utile à la paix, si cette guerre a servi de leçon aux générations suivantes.

« le temps d'une vie d'homme s'était écoulé et aujourd'hui, ils voulaient enfin savoir. Vérifier qu'ils avaient fait la guerre pour que cela en vaille leur peine. »

Dans les rues plongées dans la nuit, ils découvrent les transformations du monde moderne, les changements opérés dans leur ville, les innovations techniques. Attirés par une maison éclairée, ils découvrent un enfant regardant la télévision. Sur l'écran du téléviseur, les images diffusées témoignent de conflits en cours.

Vous pouvez imaginer leur déception lorsqu'ils voient que, ici et là, hier et encore aujourd'hui, les hommes continuent à se déchirer, se battre, à s'entretuer. Force est de constater que les hommes n'ont pas appris de leurs erreurs passées, que le monde actuel est toujours aussi violent et insécure, voire davantage.

« Pas possible qu'on soit morts depuis si longtemps et qu'on n'ait pas avancé ! »

Leur mission de vérification est certes une déception pour ces hommes qui se sont sacrifiés et sont morts pour la France, mais elle va prendre une autre tournure et va dépasser leurs simples attentes.


Ainsi, dans ce court récit écrit à hauteur d'enfant, l'auteur adresse aux enfants un message fort sur la barbarie et l'absurdité de la guerre, tout en expliquant l'idéologie ambiante et l'état d'esprit des hommes à cette époque, la vie quotidienne en 14-18, celle des milliers de Poilus comme celle de la population civile.
Il est intéressant d'observer également l'évolution de la société, du mode de vie des français.

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« Zappe la guerre » est donc une première approche très intéressante et accessible pour faire comprendre la réalité de la première guerre mondiale.

Entre mémoire et refus de guerre, ce texte, accompagné de photographies d'archives, de documents d'époque et de petites légendes explicatives, est bien écrit, facile à appréhender pour des enfants à partir de 9 ans.
Succinctement, Pef évoque les raisons de la guerre et les principales batailles, la guerre de tranchées et les premières utilisations de gaz asphyxiants, le pays épuisé par la guerre et le rôle fondamental des femmes durant le conflit, l'entrée en guerre des Etats Unis jusqu'à la victoire qui amène à dresser un bilan terrifiant des pertes humaines dues à cette guerre.

Les illustrations au feutre noir et peintes à l'encre sont sobres, touchantes. Proches de la BD, elles s'amusent avec les anachronismes. Dans les tons sombres, bleu horizon et rouge sang, elles jouent sur la symbolique des couleurs.
Pef a esquissé tout en retenue, les soldats, leurs blessures. En s'attardant davantage sur leur regard que sur le reste de leur corps, les dessins montrent avec subtilité et sensibilité toute l'horreur de la Grande Guerre.

Mais cet album s'ouvre également avec finesse sur toutes les autres guerres. Ecrit en 1998, la guerre entre les Serbes et les Croates, le génocide des Tutsis au Rwanda, font aujourd'hui partie de notre Histoire, de notre passé, et ont été remplacées par de nouvelles guerres.

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Pour conclure, mêlant fiction et Histoire, illustrations et documents historiques, cet album lauréat du prix Sorcières plaira aussi bien aux enfants qu'aux adultes en questionnant les lecteurs sur la pertinence des guerres sans être choquant.

J'ai trouvé cet album particulièrement touchant. Je pensais lire un album expliquant le conflit, et il va au-delà de mes attentes en invitant les lecteurs à réfléchir sur le sens et la fonction des guerres. Est-il possible qu'une guerre soit juste ou légitime ?
J'ai également aimé le ton du récit teinté d'un humour délicat qui permet de mettre une distance appréciable avec le texte et les illustrations.

A l'heure où les derniers Poilus se sont éteints, le travail et le devoir de mémoire s'imposent d'autant plus. Il est important que les enfants comprennent les enjeux et les conséquences de ce conflit vécu par nos aïeuls.
Cet album offre ainsi l'occasion de se questionner et par-dessus tout de transmettre les pages tragiques de notre passé aux jeunes générations qui n'ont pas connu la guerre et considèrent peut-être la paix comme naturel et normal.

Une très belle découverte.
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